L’accroissement des inégalités : un risque majeur pour l’économie.
Parmi les sujets les plus inquiétants révélés par la crise sanitaire, la hausse des inégalités dans le monde pose de multiples questions sur la façon dont vont être réparties les richesses dans les années à venir. Le coronavirus pourrait aggraver les inégalités dans la quasi- totalité des pays du monde. Le virus a mis au jour et amplifié les inégalités de richesse, les inégalités de genre et les inégalités raciales.
La Pandémie frappe un monde déjà fortement marqué par les inégalités. Les personnes les plus pauvres sont les moins à même de s’isoler et de se protéger. Sur le plan économique, ce sont les personnes déjà les plus modestes qui perdent leur emploi par dizaines de millions. Les femmes sont parmi les personnes les plus durement touchées économiquement, car elles sont les plus susceptibles d’occuper des emplois précaires. La crise a majoritairement touché les ménages à revenus modestes, qui ont le moins de possibilités pour télétravailler et sont ainsi plus touchés par la maladie que les classes sociales favorisées.
Le chômage partiel mis en place en France (d’un montant total estimé à plus de 27 milliards d’euros pour 2020) a permis de garantir les revenus des salariés actifs en emploi uniquement. Dans cette situation, les difficultés ont majoritairement touché les foyers les plus modestes qui sont les moins protégés par des contrats de travail, et qui sont principalement en CDD ou en intérim.
Il est désormais bien établi que la crise de la Covid a exacerbé le niveau d’inégalité également aux Etats-Unis en pénalisant les groupes sociaux les moins favorisés. Les statistiques récemment publiées montrent qu’un développement similaire a bien eu lieu en Europe. Les écarts pré-existants entre non-diplômés et diplômés, femmes et hommes, jeunes et moins jeunes, travailleurs précaires et bien établis se sont nettement creusés à l’occasion de la crise.
Les grandes épidémies de ce siècle ont creusé les écarts de revenus et réduit les débouchés professionnels des personnes n’ayant reçu qu’une instruction élémentaire, alors qu’elles n’ont touché qu’à la marge l’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur.
Ces inégalités créent d’autres inquiétudes pour la croissance économique à moyen/long terme. L’épargne des ménages a évolué de façon très hétérogène entre les niveaux de revenus des ménages. On constate une hausse de l’épargne à la fin de l’année 2020 (par rapport au premier janvier 2020) de 2,5 % pour les 10 % les plus riches, et une diminution de 2,8 % pour les 10 % les plus pauvres. Autrement dit, 70 % du surplus d’épargne a été accumulé par 20 % des ménages.
Ce phénomène pourrait avoir comme conséquence un nouvel accroissement des inégalités. Les populations les plus favorisées, qui ont accumulé une épargne importante pendant la crise pourraient investir cet argent dans des biens immobiliers ou dans des actifs financiers, dont la valeur augmente fortement depuis le début de la crise. Cela pourrait conduire à une dynamique différente des revenus d’autant plus importante et une aggravation des inégalités entre salaire et patrimoine.
Ces projections sont suivies de très près par la BCE, pour laquelle le sujet des inégalités est en train de s’imposer dans l’analyse économique.
Isabel Schnabel, membre du Directoire de la BCE a précisé que cet accroissement des inégalités est important pour la BCE car les habitudes de consommation et d’épargne sont très différents selon les groupes sociaux :
« tandis que les individus aux revenus les plus bas dépensent la plupart de leurs revenus en produits de première nécessité, l’épargne et les dépenses pouvant être reportées, représentent une part importante des revenus pour les individus se situant en haut de l’échelle de revenus. », Christine Lagarde indiquait le 11 novembre dernier que la moitié des ménages à bas revenus consomment plus que leurs revenus et que le fait que cette partie de la population soit plus touchée que les autres représentait « une menace pour l’économie »
Afin de faire face à des risques accrus de tension sociale, les Etats devront mettre en place ce qu’ils ont déjà commencé à faire, à savoir, des politiques d’aide ciblées sur les ménages vulnérables afin d’éviter le risque de mouvements sociaux de grande ampleur un peu partout sur la planète avec des conséquences économiques plus difficiles à gérer et des conséquences sur la stabilité politique des Etats les plus fragiles.
A l’opposé, selon une étude réalisée par la banque suisse UBS et le cabinet d’audit PwC, la fortune des milliardaires a passé un nouveau sommet pendant la pandémie de Covid-19, et a ainsi franchi très largement la barre des 10.000 milliards de dollars, et ce, grâce à un fort rebond des marchés financiers et de la poursuite de la hausse de très nombreux actifs.
Selon l’étude, la fortune cumulée des milliardaires se montait à pas moins de 10.200 milliards de dollars, soit un nouveau record, au-delà du pic de 2017.
On constate donc que le creusement des inégalités s’est opéré à la fois par un appauvrissement des plus modestes et par un très fort enrichissement des personnes les plus fortunées.
Le FMI a réalisé une étude qui tend à démontrer la corrélation qui existe entre une pandémie et les risques de déstabilisation sociale qui en découlent. Cette analyse montre que le risque d’émeutes et de manifestations contre les autorités grandit progressivement. L’étude conclut par ailleurs à un risque accru de crise politique majeure, un évènement susceptible de faire tomber le gouvernement qui survient souvent dans les deux années qui suivent une grave épidémie.
Les prochaines grandes échéances électorales en Europe sont attendues avec inquiétude par les observateurs en raison du niveau d’incertitude résultant d’un populisme toujours plus présent entretenu par cette exacerbation des inégalités.
A court terme, les marchés financiers, dans l’euphorie de la reprise, ne vont pas se focaliser sur les risques sociaux, mais ceux-ci pourraient tôt ou tard prendre une place plus centrale dans la réflexion et l’anticipation des acteurs économiques et financiers.
Au-delà des risques très souvent mis en avant de surchauffe pouvant conduire à une reprise de l’inflation et donc à une hausse des taux, ces phénomènes de tensions sociales en sortie de crise sanitaire qui peuvent surgir un peu partout dans le monde sont probablement sous-estimés par les marchés.
Une volatilité accrue des actifs financiers n’est pas à exclure dans les prochains mois et la vigilance sera de mise. Cela ne remet toutefois pas en cause la croissance que l’on pourra observer dans certains secteurs et qui bénéficieront à des entreprises de ces secteurs. La sélectivité des investissements et la diversification seront nécessaires pour amortir les mouvements de baisse et profiter au mieux d’une tendance haussière à long terme dans certains domaines.