Nouvelles monnaies : vers un nouvel ordre monétaire ?
L’actualité nous conduit aujourd’hui à évoquer le sujet des nouvelles monnaies. L’annonce par Mark Zuckerberg du lancement de la monnaie Facebook, Libra, n’est certes pas passée inaperçue, mais son développement futur pose de nombreuses questions. Revenons sur l’émergence de ces monnaies.
Depuis une quinzaine d’années, on assiste à une création accélérée de nouvelles monnaies un peu partout dans le monde. Les nouvelles monnaies numériques se multiplient. Monnaies électroniques, mobiles et autres monnaies virtuelles apparaissent sur tous les continents et suscitent un attrait encore inédit jusque-là.
L’annonce du lancement prochain par Facebook de sa propre crypto-monnaie, la Libra, a relancé la question : certaines des principales monnaies de demain, pourraient-elles ne plus être émises par les banques centrales ? L’apparition de nouvelles monnaies numériques réactive le débat ancien de la concurrence et de la pluralité monétaire. La dimension privée de ces monnaies relance des questionnements autour du système bancaire, et d’autres, d’ordre théorique, quant à la définition de la monnaie et de sa dimension macroéconomique.
Le monde des paiements s’est enrichi de nouveaux instruments qui ne sont pas tous de même nature : on y rencontre de simples instruments de transfert de fonds (monnaie électronique) mais aussi des monnaies parallèles (monnaies virtuelles de type cryptomonnaies). Le monde des paiements s’est également enrichi de nouveaux acteurs : les services de paiement ne sont plus le monopole des banques, de nombreuses entreprises non bancaires offrent désormais le même service — opérateurs de téléphone mobile, réseaux sociaux, plateformes d’e-commerce, etc.
La circulation des monnaies électroniques se fait en marge du secteur bancaire, mais elle repose toujours sur la monnaie émise par la Banque centrale. Les monnaies virtuelles sont détachées de tout lien avec la monnaie publique, et échappent à toute réglementation. Les monnaies électroniques concurrencent le monopole traditionnel des banques dans les règlements. Les monnaies virtuelles éliminent les banques du système de paiement.
La monnaie électronique créée par Facebook et adossée à des monnaies fiduciaires interpelle les experts. En effet, compte tenu du nombre d’utilisateurs de Facebook, elle fait craindre l’émergence d’une banque au service d’intérêts privés aussi performante qu’une banque centrale pour réguler l’inflation et distribuer le crédit selon des intérêts économiques et politiques bien précis parfois différents des intérêts nationaux. La valorisation du système monétaire proviendrait de cette monnaie transactionnelle régulée par une blockchain décentralisée technologiquement « infaillible ».
La Libra pourrait s’appuyer sur un panier de devises dont la pondération répondrait avant tout à des enjeux politiques ou économiques particuliers. Il s’agit d’un « stablecoin », c’est-à-dire une cryptomonnaie adossée sur une réserve de monnaies et de valeurs stables, comme le dollar ou l’euro. Contrairement au Bitcoin, très volatile, elle ne devrait ainsi pas attirer les spéculateurs.
Depuis que les projets du réseau social américain ont été rendus publics, cette semaine, les états-majors des grandes banques hésitent à se prononcer publiquement faute d’informations. Facebook, avec 2 milliards d’utilisateurs et 530 milliards de dollars de capitalisation, ne peut que susciter l’interrogation voire l’inquiétude. Les chinois WeChat Pay (fondé en 2014 par Tencent) et Alipay (créé en 2004 par Alibaba) comptent ensemble 1,8 milliard d’utilisateurs ; ils ont commencé́ par le paiement mais fournissent de plus en plus d’autres services, comme le crédit à la consommation, la gestion de fortune ou l’assurance. Les clients d’Alipay se voient ainsi proposer d’évoluer dans un écosystème clos dans lequel leurs besoins sont identifiés et satisfaits.
Des monnaies privées pourraient donc prendre de plus en plus d’importance. Cependant, compte tenu du fait que ces nouvelles monnaies ne sont pas étatiques, elles n’ont pas vocation à devenir exclusives. Elles doivent coexister en étant liées aux monnaies officielles. Sans convertibilité assurée, il ne se créera pas de confiance suffisante pour un usage large d’une monnaie.
Il faut cependant noter que la Directrice générale du FMI a plusieurs fois reconnu que les crypto-monnaies, émises sur le principe d’une parité fixe avec un panier stable de devises (les Stablecoins), pourraient à terme remplacer les banques centrales, les banques conventionnelles et mettre en question le monopole desmonnaies nationales. La plupart des banques centrales ainsi que la Banque des règlements internationaux étudient les potentiels des CBDC (central bank digital currencies), c’est-à-dire les monnaies numériques de banque centrale. Avec les CBDC, toute personne pourrait avoir un compte directement auprès de la banque centrale. Cela constituerait une entité en charge du système de paiements sans que celui-ci ne soit contrôlé par des entités privées.
Les banques ne sont pas démunies de solution dans cet environnement ; elles sont très souvent associées au développement de nouveaux produits et elles peuvent répondre à l’innovation par l’innovation. Actuellement, les banques sont associées au développement des nouveaux moyens de paiement électroniques dans plus de 70 % des cas (comme Circle avec Goldman Sachs).
Le Bitcoin est la plus connue des cryptomonnaies, la première à avoir attiré l’attention du grand public. Le Bitcoin, comme les autres cryptomonnaies, repose sur la technologie blockchain. Il s’agit d’une technologie de stockage et de transmission d’informations, fonctionnant sans organe central de contrôle. Lorsque deux utilisateurs échangent de la monnaie cryptée, ils sont les deux seuls à avoir accès à la transaction, ce qui représente un avantage certain en termes de sécurité et en même temps l’inconvénient majeur d’une totale opacité.
Ethereum et sa monnaie, l’Ether, est l’une des cryptomonnaies les plus populaires, avec le Bitcoin. Le point fort de l’Ethereum, est sa blockchain. Celle-ci peut servir de base à une multiplicité d’applications, contrairement à celle du Bitcoin destinée uniquement aux transactions.
Ripple a connu une forte croissance en 2017. Le Ripple a la spécificité d’avoir le soutien des banques : UBS, UniCredit ou encore Santander utilisent déjà sa blockchain, qui permet de transférer des fonds sans frais.
Ces nouvelles formes de monnaie ont encore du mal à s’imposer auprès du grand public car les risques liés à leur utilisation restent difficiles à évaluer et la confiance n’est pas encore là. Les monnaies numériques se développent à grande vitesse, sinon dans leur usage du moins dans leur nombre, mais à ce jour elles ne font pas une réelle concurrence au système bancaire traditionnel.
Libra semble être le point de départ du développement de monnaies d’entreprises privées. Elles joueront non seulement le rôle de banques centrales, d’agents de confiance, mais aussi de créanciers et de débiteurs. Elles viendront ainsi concurrencer les banques mais aussi les Etats dans leur fonction régalienne, avec des risques potentiels concernant la protection des données personnelles. Celle-ci sera un enjeu majeur pour les États qui devront instaurer des limites et veiller à leur respect.
Certaines banques et les Etats risquent d’être les premiers à subir le développement de nouvelles monnaies. Comment imposer une réglementation sur les transactions monétaires à des entreprises privées qui détiennent une puissance telle qu’elles défient déjà les lois des Etats dans lesquels elles se sont implantées pour leurs activités traditionnelles ? Peut-on réellement considérer que l’ordre monétaire dans lequel nous vivons est le seul pertinent et sécurisant ?
Si ces nouvelles monnaies connaissent dans les prochaines années l’essor qui semble se dessiner doivent-elles être considérées comme un actif financier comme un autre et peuvent-elles constituer un placement à plus ou moins long terme ? La volatilité de certaines cryptomonnaies est telle qu’il s’agit plus aujourd’hui d’objets de spéculation que de placement attractif sur le long terme.
Sans vouloir aborder le sujet sous un angle politique il faut tout de même s’interroger sur la capacité actuelle des banques centrales à stabiliser l’ordre monétaire existant et se demander si elles sont aujourd’hui armées pour faire face à ce nouveau paradigme.