En quoi les fragilités de l’Allemagne présentent-elles un risque pour l’Europe ?

Sans grande surprise, Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne, a annoncé la reprise des achats de titres de dettes publiques et la baisse des taux encore plus bas en territoire négatif. Dans un même temps il a clairement sollicité les Etats de la zone euro pour qu’ils mettent en oeuvre des politiques budgétaires plus expansives afin de soutenir l’effort monétaire consenti par la BCE. Cette recommandation s’adresse à tous les pays. Pour autant, de nombreux Etats affichent déjà des déficits budgétaires importants et ne seront pas en mesure de mettre en place des politiques de relance attendues par la BCE.

L’Allemagne affiche depuis plusieurs années des excédents qui pourraient lui permettre d’enrayer les mécanismes qui affectent aujourd’hui sa croissance. L’Allemagne s’essouffle.

Que se passe-t-il de l’autre côté du Rhin ? Quels sont les phénomènes qui remettent en question le fameux modèle économique allemand ?

Selon le dernier rapport de la Bundesbank, la banque centrale allemande, la raison principale de cet essoufflement réside dans la chute des exportations qui représentent presque la moitié du PIB, l’Allemagne étant le troisième exportateur mondial.

Les analystes estiment que cette tendance va se poursuivre pour le troisième trimestre 2019, ce qui confirmerait officiellement la récession, définie comme une contraction du PIB pendant deux trimestres consécutifs. Pour le deuxième trimestre de cette année, le produit intérieur brut (PIB) de l’Allemagne s’est contracté de 0,1 % par rapport au trimestre précédent et les entreprises annoncent encore une nette baisse de leurs ventes à l’étranger.

Après avoir compté sur les exportations pour assurer son développement (son excédent commercial a atteint 232,5 milliards de dollars en 2018), l’Allemagne est aujourd’hui victime de son modèle économique.

La réduction de sa demande domestique a eu pour effet à la fois de limiter ses importations et a conduit les entreprises allemandes à privilégier les exportations. Même si le pays a toujours été un grand pays exportateur, cette position s’est fortement renforcée depuis le milieu des années 2000. Les performances à l’exportation de ce pays s’expliquent par la compétitivité des grands groupes allemands et par le dynamisme des PME du « Mittelstand ».Les entreprises qui composent le « Mittelstand » pèsent 45% du PIB et représentent 70% des emplois.

Plusieurs facteurs contribuent à cette position de l’industrie allemande sur les marchés internationaux.

Les entreprises allemandes disposent d’un appareil productif performant permettant une spécialisation dans les productions haut de gamme. Les sociétés allemandes sont également très présentes dans des secteurs comme les biens d’équipement ou encore le matériel électrique.

D’autres facteurs peuvent expliquer ces performances à l’exportation.

La déréglementation du marché du travail (lois HARTZ mises en place par le gouvernement du Chancelier Schröder) a permis d’obtenir des coûts salariaux plus compétitifs.

Le recours à la sous-traitance de l’industrie allemande est une autre raison justifiant sa forte compétitivité. L’intégration des pays d’Europe de l’est dans l’Union Européenne a permis d’accélérer le processus de délocalisation et a ainsi accru la compétitivité des entreprises allemandes.

Enfin, la faiblesse de l’euro par rapport au dollar a permis de consolider la compétitivité allemande au cours de ces dernières années.

La bonne santé relative de l’économie allemande se trouve confortée par une situation de plein emploi (le chômage est actuellement de 3,1% de la population active).

A partir de 2012, l’Allemagne a conduit une gestion rigoureuse de ses dépenses publiques favorisée par la chute du taux de chômage. Elle a ainsi pu réaliser d’importants excédents budgétaires successifs. La rigueur budgétaire menée par le ministre des Finances, Wolfgang SCHAUBLE, a permis à l’Allemagne d’assainir sa dette publique qui est désormais de 60,9%% du PIB en 2018 contre 85%% pour la zone euro et 98,4% pour la France.

La récession qui se profile en Allemagne résultant entre autres des tensions commerciales mondiales initiées par les Etats-Unis va mettre en évidence des faiblesses structurelles de ce pays.

L’évolution de la démographie est un réel sujet pour l’avenir de l’Allemagne. Le taux de fécondité est de 1.50 enfant par femme contre 1.96 enfant par femme en France et 1.56 enfant par femme au sein de la zone euro.

La vague migratoire de 2015 a permis au pays de stabiliser sa population mais son vieillissement va s’accélérer d’ici quinze ans. Malgré le vieillissement de la population, l’afflux net anticipé de 260.000 immigrés par an en Allemagne, devrait permettre au pays de stabiliser à 82,3 millions le nombre de ses habitants en 2035 (83 millions d’habitants à ce jour).

Autre sujet d’inquiétude et problème pour les entreprises :  le manque de personnel qualifié. Dans un pays où le chômage est à son niveau le plus faible depuis la réunification, le nombre d’offres d’emploi non pourvues est à un niveau très élevé. La conséquence est que les entreprises peinent à recruter, augmentent les salaires et ne peuvent plus améliorer leur production.

La banque publique d’investissement KfW redoute un manque général de main-d’œuvre à partir de 2025, quand la génération du babyboom arrivera à la retraite.

Le ralentissement s’explique en grande partie par la hausse des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine d’une part, et entre les États-Unis et l’Union européenne d’autre part. Le président américain ­Donald Trump continue de brandir la menace de hausses des droits de douane sur les voitures européennes.

À cela s’ajoute l’incertitude liée au Brexit. Le blocage politique de ces derniers mois influence négativement le moral des entrepreneurs, le Royaume-Uni étant le quatrième partenaire commercial de l’Allemagne.

En cas de no deal, il faudra compter sur une baisse de 25 % des exportations allemandes vers le Royaume-Uni selon l’institut IHW. Certaines études estiment que cela pourrait causer la perte de 100 000 emplois directs outre-Rhin, principalement dans l’automobile, le secteur pharmaceutique et la logistique.

Dans ce contexte de ralentissement marqué, les autorités politiques allemandes doivent-elles donner un coup de pouce à la croissance ?

C’est ce que souhaitent depuis longtemps certains autres pays européens, qui appellent Berlin à abandonner son orthodoxie budgétaire et à soutenir les investissements sur le continent. Le Fonds monétaire international regrette des « sous-investissements chroniques qui creusent le retard industriel » du pays.

Pour les autorités allemandes, il n’est pas question de revenir sur la règle d’or du frein à l’endettement, inscrit dans la Constitution depuis dix ans. Cette règle limite à 0,35 % du PIB la hauteur des emprunts autorisés par l’État fédéral.

Cette règle est désormais mise en cause par des personnalités de toutes les sensibilités politiques.

Un assouplissement de la rigueur budgétaire allemande constituerait un véritable soutien pour la croissance de la zone euro. Le pays pourrait dans un même temps mener à bien des réformes structurelles dans le but de pérenniser son modèle économique.

Gerhard Shroeder avait eu le courage d’engager des réformes qui lui ont certes couté sa réélection mais qui ont soutenu la croissance pendant de nombreuses années. Le gouvernement de Madame Merkel est aujourd’hui face à des enjeux qui dépassent ceux des prochaines échéances électorales.