La dette mondiale, la fuite en avant.
Les marchés financiers sont euphoriques et nombreux sont ceux qui estiment que cette tendance pourrait perdurer pour l’année à venir. L’optimisme est de mise en ce début d’année et ce malgré une économie mondiale qui est loin d’afficher une santé resplendissante.
Le monde croule sous les dettes. L’ensemble de la dette mondiale dépasse 255 000 milliards de dollars (230 000 milliards d’euros) à la fin de 2019, selon des estimations de l’Institute of International Finance (IIF), soit près de 32 500 dollars pour chacun des 7,7 milliards d’humains vivant sur terre. Ce montant est plus de trois fois supérieur à celui du produit intérieur brut (PIB) mondial.
Cette dette mondiale se calcule par l’addition de toutes les dettes des Etats, des entreprises et des particuliers.
La Banque Mondiale parle de vagues de dettes qui s’intensifient au cours des 50 dernières années. Les trois premières se sont soldées par des crises financières, en Amérique latine dans les années 1980, en Asie à la fin des années 1990 et dans le monde en 2008. Leur impact a été particulièrement important dans les pays aux économies en développement.
La quatrième vague est pire que les autres. Elle est « plus large, plus rapide et plus étendue », résume la Banque mondiale. La progression de la dette dans les pays émergents et les pays en développement est en moyenne de 7 % par an.
Environ 60% de la hausse de cette dette au cours du premier semestre 2019 résulte des Etats-Unis et de la Chine. La seule dette des Etats devrait dépasser 70.000 milliards cette année, selon l’IIF. Une autre étude conclut que depuis la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers en 2008, les Etats ont emprunté 30.000 milliards de dollars, les entreprises 25.000 milliards, les ménages 9.000 milliards et les banques 2.000 milliards.
Après la crise financière de 2008, qui a été très sévère, il était assez normal d’assister à une hausse de la dette des Etats, car les économies développées ont dû mettre en place des mesures de stabilisation et ont consenti à certaines dépenses extraordinaires.
Le problème est que depuis maintenant plus de 10 ans nous n’avons assisté à aucun effort des Etats pour mettre en place des politiques de désendettement. Le rythme de croissance assez faible dans de nombreux pays n’a pas incité à une réduction de la dette publique.
En 10 ans, la dette publique, exprimée en pourcentage du PIB, est passée de 61% à 98% aux Etats-Unis, de 67 à 112% en France, de 44 à 110% au Royaume-Uni, de 36 à 110% en Espagne.
Avec des taux d’intérêt normalisés, on pourrait s’attendre à une crise financière et économique de grande ampleur dans un horizon relativement court. Mais ce cycle financier ne ressemble pas aux autres. Malgré cet endettement record, les obligations d’Etat n’ont sans doute jamais été aussi prisées, avec des taux à 10 ans allemands toujours plus négatifs.
En outre, même si le ratio de la dette publique globale/ PIB a fortement progressé depuis la crise financière de 2008, si l’on admet que la portion de la dette publique détenue par les banques centrales ne sera jamais remboursée, on constate alors que la plupart des gouvernements se sont en fait désendettés au cours de la dernière décennie.
Aujourd’hui, la confiance accordée aux banques centrales et aux Etats par les acteurs économiques et en particulier par les marchés est une garantie de stabilité, garantie fragile et qui pourrait basculer à tout moment.
Les pays émergents et avec eux la Chine sont plus particulièrement dangereux pour l’équilibre financier mondial.
En 12 ans, depuis 2008, la dette chinoise, publique et privée, a augmenté de 445%. Poussée par le secteur immobilier et par le shadow banking (l’octroi de crédits par des organismes non bancaires et donc moins régulés), elle atteint aujourd’hui 33.000 milliards de dollars, dont 20.000 milliards pour les seules entreprises non financières.
Cet endettement chinois résulte principalement des mesures de soutien économique prises après la crise de 2008, comme des investissements dans les infrastructures et le marché immobilier réalisés par des entreprises détenues par l’Etat (ou « publiques »). Il a été financé par le système bancaire chinois.
Il existe un risque lié à la dette en Chine, mais s’il devait y avoir une crise, la contagion au reste du monde devrait être limitée. » La dette chinoise est surtout libellée en monnaie locale.
Sur les marchés de la dette, d’autres compartiments soulèvent aujourd’hui des questions quant à leur solidité. C’est le cas des leveraged loans, des prêts, sans trop de garanties, accordés aux entreprises déjà très endettées ou à des projets très risqués. Les leveraged loans atteignent un encours de 1.200 milliards d’euros, rien qu’aux Etats-Unis. Une taille du même ordre que celle des crédits subprimes en 2007.
Le FMI a mentionné le fait qu' » en cas de ralentissement marqué de l’activité, dans le plus sombre des scénarios, 40% de la dette des entreprises dans les huit plus grandes économies, soit 19.000 milliards de dollars, seraient exposés à un risque de défaut, soit plus que le niveau observé durant la dernière crise financière.
Le monde fait face au mur de la dette et pour qu’il ne représente pas un obstacle infranchissable, les banques centrales du monde entier sont à la manœuvre pour éviter un accident majeur qui pourrait se traduire en crise systémique.
La clé d’un environnement d’endettement viable au cours de la ou des prochaines décennies sera de maintenir les taux nominaux bien en deçà du PIB nominal.
Les banques centrales devront poursuivre leur politique non conventionnelle en achetant encore un peu plus de dettes, en maintenant leur taux directeurs au plancher et en recommençant à acheter des obligations pour abaisser les taux à long terme. Les taux vont rester proches de zéro pendant très longtemps encore.
Dans ce contexte les actifs risqués devraient encore trouver tout leur intérêt aux yeux des investisseurs.