Le monde au ralenti

Avant de tenter d’analyser la situation inédite dans laquelle est désormais plongé le monde depuis plusieurs semaines, revenons quelques mois en arrière pour se rappeler ce qui, il n’y a pas si longtemps, relevait des problématiques économiques les plus préoccupantes pour les observateurs. Souvenez-vous, on parlait risque commercial pour la croissance mondiale, la Chine et les Etats-Unis étaient entrés dans une guerre commerciale et l’Allemagne redoutait que cette guerre se propage à l’Europe et que son industrie automobile ne fasse l’objet d’augmentation de taxes sur le continent américain.

Les économistes anticipaient un ralentissement de la croissance et la montée du populisme un peu partout dans le monde ravivait les craintes d’un repli sur soi économique. Les sujets d’interrogation étaient nombreux : Brexit, élections américaines, guerres commerciales, etc…tout cela avec une prise de conscience de plus en plus grande que les risques écologiques liés au réchauffement climatique allaient constituer à terme un enjeu planétaire.

Fin février, on commençait à percevoir la partie émergée de l’épidémie mais on avait l’espoir qu’elle soit contenue et que la Chine reste le continent le plus touché à la fois par la crise sanitaire et par le brutal ralentissement économique qui en découlait. En quelques semaines, le monde a basculé dans une pandémie qui met désormais plus de la moitié de l’humanité à l’arrêt. Cette crise sanitaire sans précédent au cours des 100 dernières années touche désormais près de 190 pays dans le monde et le confinement a été très largement décrété, touchant désormais les grands pôles économiques mondiaux.

On le sait maintenant, l’économie mondiale va basculer en récession cette année. Selon les anticipations sur la durée du confinement, les prévisions de baisse du PIB mondial varient de -2% à -3,5% contre une croissance initialement attendue en début d’année de l’ordre de 2,4% à 3%.

La Chine qui sort lentement de la crise sanitaire retrouve progressivement un rythme de travail encore très éloigné de sa pleine capacité. La production industrielle a ralenti de 13% en début d’année. Très tournée vers l’exportation, son économie souffre aujourd’hui d’un effondrement de la demande mondiale dans de nombreux secteurs comme l’électronique, l’automobile ou le textile. Seule la demande en matériel de santé reste très élevée et dans ce domaine les usines chinoises tournent à plein régime. Son marché domestique est également très affecté avec une baisse de la consommation de 25% sur les premiers mois de l’année.

L’Europe très touchée par le coronavirus est à l’arrêt. « L’activité dans la zone euro va se contracter considérablement » a annoncé Christine Lagarde. Au mois de mars, l’indice Markit concernant le secteur privé de la zone euro a plongé de 21,9 points (51,6 en février et 29,7 à fin mars). L’ampleur de la crise est inédite. Le secteur tertiaire est très lourdement touché, l’activité ayant baissé de 52,6 à 26,4 selon l’Institut Markit. Cette chute est d’autant plus inquiétante que le secteur tertiaire représente 66 % de la valeur ajoutée de l’économie européenne. L’industrie subit également un très fort ralentissement particulièrement dans les secteurs de l’industrie automobile et de l’aéronautique.

Afin de limiter la casse sociale, les Etats Européens ont pour la plupart mis en place des mesures de chômage partiel pour faciliter le redémarrage en sortie de crise. L’Europe tente d’apparaître unie, malgré des divisions entre pays du Sud et du Nord. La BCE a dés à présent donné des réponses d’envergure (plus de 750 Mds € de liquidités) afin de soutenir les économies des pays de la zone Euro mais l’absence de coordination des Etats est jugée par les économistes comme pénalisante pour une reprise rapide.

Le 7 avril, la réunion des ministres des finances de l’Euro-groupe sera déterminante pour l’adoption de mesures majeures telles que la création d’un régime d’assurance-chômage ou des financements par la Banque Européenne d’Investissement avec en plus une réflexion sur la relocalisation en Europe de chaînes de valeurs stratégiques. On le constate l’Europe peine certes à coordonner les réponses budgétaires mais elle a pris la mesure de la crise sanitaire et économique.

Que se passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique ? La situation sanitaire est particulièrement confuse outre Atlantique et l’impact sur l’économie américaine pourrait être particulièrement brutal. Les Etats-Unis qui ne sont qu’au début de la crise sanitaire ont déjà basculé dans la récession. La remontée spectaculaire des inscriptions au chômage fait craindre une vague de perte de plus d’un million d’emplois.

Au deuxième trimestre, le PIB américain pourrait se contracter de plus de 10%. Le problème américain réside dans sa difficulté à mettre en place une réponse sanitaire appropriée en raison d’un système de santé démuni en matériel et en ressources humaines. Les messages contradictoires au sommet de l’Etat ajoutent à la confusion dans un pays fédéral où chaque gouverneur décide ce qu’il veut. Le chômage massif, la baisse de revenus des retraités dont les pensions sont placées sur les marchés financiers vont avoir comme conséquence l’effondrement de la consommation.

Face à cette crise majeure, une loi a été promulguée pour apporter une aide de plus de 2.000 Mds$ aux ménages et aux entreprises avec comme objectif de renforcer le système de santé, aider les familles pour compenser en partie les pertes de revenus résultant des pertes d’emplois et solidifier le tissu des PME très vulnérables qui représentent la moitié des emplois aux Etats-Unis.

On constate donc que de très nombreux Etats font fi des objectifs budgétaires de réduction des déficits. Face à une situation inédite, les gouvernements emploient les grands moyens et accordent des prêts et des aides sous de nombreuses formes à tous les acteurs économiques.

Parallèlement, la réponse monétaire est considérable. Les banques centrales multiplient les annonces afin d’assurer la liquidité dans le système financier et dans l’économie. La crise économique a déjà des effets sur la sphère financière, les marchés actions ayant très fortement chuté. L’objectif des banques centrales et des gouvernements est de préserver le système financier qui reste stratégique pour la reprise économique. Les banques et les assurances sont indispensables comme courroie de transmission des liquidités et des aides pour les entreprises et les ménages. Elles seront consolidées par les Etats et les banques centrales.

Quelles peuvent être à terme les conséquences de ces afflux de liquidités sur l’ensemble de la planète ? Est-il légitime de redouter un mouvement inflationniste ?

Dans la mesure où cette crise est une crise mondiale, le doute concernant une dépréciation d’une monnaie particulière semble peu probable et hormis certains secteurs bien identifiés (Santé, Agroalimentaire…) la demande est largement satisfaite par la production d’autant qu’elle-même risque de fléchir au cours des prochains mois. Plus que l’hyperinflation, les Etats redoutent la déflation dont les effets sont désastreux à long terme. Les taux d’intérêts pilotés par les Banques centrales vont rester durablement bas afin d’alléger le coût de la dette des agents économiques.

Enfin la guerre que se livre l’Arabie Saoudite et la Russie sur le front du pétrole cumulée à la baisse de la demande ont entrainé une chute des cours du baril qui devrait avoir un impact positif dans la phase de reprise à l’exception des Etats-Unis où le secteur du pétrole de schiste pourrait enregistrer de très nombreuses faillites.

L’économie mondiale est entrée dans un cycle dont la sortie est hypothétique. Il est trop tôt pour tirer les conséquences de cette période mais l ‘économie mondiale dans son ensemble devra être repensée en prenant enfin en compte les aspects environnementaux dont la croissance pourrait être une réponse à moyen long terme.

Investir dans cette période est une décision nécessitant une analyse très précise des objectifs et des supports de l’investissement.

Après la chute des marchés financiers, la tentation est grande d’acheter des actions ou des parts de fonds investis en actions.

L’indice de la volatilité est un indicateur déterminant à observer pour envisager un retour sur les marchés actions. Alors qu’il évoluait entre 10 et 20% depuis de nombreux mois, il a atteint un pic mi-mars à 84%. Même si on constate une baisse début avril à 45% ce niveau reste très élevé et la rapidité des mouvements de cet indice est un mauvais indicateur pour un retour sur les marchés. Il est préférable d’attendre que cet indice retrouve un niveau plus bas et se stabilise pour investir en bourse.

La sélection sera alors le maître mot pour investir.

L’immobilier sera également affecté par la crise économique mais à des degrés divers selon les supports d’investissement. Dans ce domaine aussi la sélection des investissements sera primordiale. La liquidité sur ce marché étant moins grande que sur les marchés boursiers, le point d’équilibre sera probablement décalé dans le temps. Il sera important de surveiller des opportunités qui se présenteront.

A terme, dans la mesure où on attend une abondance de liquidités fournies par les Banques centrales et des taux qui pourraient rester durablement bas, la valorisation des actifs plus risqués devrait s’apprécier.