Le coronavirus sonne-t-il la fin du libéralisme ?

Le libéralisme économique est une école de pensée, dont la dénomination est associée au siècle des Lumières qui estime que les libertés économiques (libre échange, liberté d’entreprendre, libre choix de consommation, de travail, etc.) sont nécessaires au bon fonctionnement de l’économie et que l’intervention de l’Etat doit être aussi limitée que possible.

Adam Smith explique la façon dont les actions individuelles influent sur l’intérêt collectif par sa théorie de la « main invisible ». Dans ses actes, chaque individu agit librement, dans son propre intérêt. En agissant ainsi, il concourt pourtant à satisfaire l’intérêt collectif. L’économie générale fonctionne à travers les échanges, grâce à une « main invisible », qui assure de manière abstraite les flux entre l’offre et la demande.

Smith préconise l’intervention limitée de l’Etat dans l’économie. L’Etat doit cependant conserver ses attributions, notamment en matière d’éducation. D’autres économistes libéraux vont plus loin encore : Locke et Hume n’envisagent aucune intervention de l’Etat dans les affaires économiques.

Après cette brève introduction au concept de libéralisme économique, on peut se demander quelles sont les grandes orientations prises par les grandes puissances mondiales. En quoi les orientations monétaires et budgétaires prises par de très nombreux Etats viennent elles mettre à mal les grands principes du libéralisme tant prôné par des dirigeants comme Margaret Thatcher ou de très nombreux Présidents américains depuis Ronald Reagan ?

Fort est de constater que la période actuelle de crise sanitaire mondiale se traduit par une omniprésence des Etats et des interventions illimitées des Banques centrales.

De nombreux dogmes n’ont désormais plus cours. Ainsi les déficits budgétaires de même que le niveau de la dette des Etats ne semblent pas être des freins pour les politiques de relance.

L’arrivée au pouvoir de Joe Biden comme Président des Etats-Unis avec un Congrès majoritairement démocrate marque un tournant dans la politique économique américaine qui ne manquera pas d’être scrutée avec attention par les acteurs économiques dont les marchés financiers. On sait la volonté du nouveau Président de mettre en place au plus vite une politique budgétaire offensive. Le montant global des mesures anticipées devrait s’approcher de 1900 milliards de dollars. L’ emploi et l’aide aux victimes de la pandémie de Covid-19 sont les priorités du plan de soutien à l’économie.

Joe Biden doit en effet faire face à plusieurs urgences : urgence sanitaire, avec la crise due au Covid-19, qui ravage le pays en dépit d’un début de vaccination ; urgence économique, avec les mauvais chiffres du chômage de décembre 2020 (140 000 emplois détruits), qui confirment la nécessité d’agir pour redonner un travail aux 10 millions d’Américains ayant perdu le leur emploi depuis le début de la pandémie.

Un second plan viendra quant à lui traiter de l’urgence écologique et pourra contribuer à la création d’emplois dans des secteurs d’activité liés à cet enjeux majeur.

Par la force des choses, les Etats Unis entrent donc dans une ère de l’Etat redistributeur de richesse.

En France la crise sanitaire a remis l’Etat au centre du jeu. Le retour du commissariat général au plan en est l’illustration. En plus de cette planification à la française, on constate ici aussi une reprise de l’interventionnisme.

Les grands principes de l’économie de marché et plus globalement du libéralisme sont remis en cause au nom de la priorité en faveur de l’emploi et des entreprises. Comme dans de nombreux domaines, la crise financière accélère le retour du dirigisme. Cet abandon des principes du libéralisme prend plusieurs formes en concernant tout à la fois la politique monétaire, les échanges, la fixation des revenus et les finances publiques.

L’indépendance des Banques Centrales érigée comme grand principe par toutes les grandes démocraties mondiales est devenue une illusion. Elles prennent en charge une part croissante des déficits publics. Par leur politique de taux bas, elles améliorent la solvabilité des États et facilitent le financement des dépenses.

Autre remise en cause du libéralisme économique : les dernières recommandations du FMI. Jusqu’à présent, cette institution était considérée comme le garant d’une certaine orthodoxie financière des Etats. Or dans sa dernière publication « Mise à jour des perspectives de l’économie mondiale », le FMI prône la poursuite des politiques de soutien à la reprise par tous les moyens. Le FMI explique que « Des mesures de soutien budgétaire de plus grande ampleur que ce que suppose le scénario de référence, avec des répercussions favorables pour les partenaires commerciaux, donneraient encore plus de souffle à l’activité mondiale. »

A court terme, les instances monétaires internationales ne s’attardent pas sur le mur de la dette qui pourtant prend une ampleur inquiétante. Selon les estimations, la dette publique mondiale atteint 98% du PIB fin 2020, loin des projections de 84% réalisées avant la pandémie.

Il semble évident aujourd’hui à tous les acteurs économiques que le soutien de l’Etat est un prérequis pour le retour à la croissance. Pour autant, toutes les entreprises ne nécessitent pas l’intervention des Etats compte tenu de leur puissance économique. Les sociétés du secteur du numérique ou certains groupes géants de la santé (on peut citer des entreprises comme Amazon, Facebook…) imposent leur puissance face à des Etats n’ayant qu’un pouvoir limité de réglementation.

Malgré la volonté des Etats d’imposer leurs propres règles, ces sociétés à la puissance économique surdimensionnée affichent un pouvoir qui alarme aujourd’hui de nombreux pays. La résilience à des chocs comme le coronavirus, non prévisibles, implique que les États jouent un nouveau rôle, celui d’assureurs de revenus. Le Prix Nobel d’économie, Edmund Phelps utilise le terme d’assurance systémique. Les revenus de substitution sont d’une telle ampleur que les marchés ne pourraient à eux seuls les couvrir intégralement. Avec cette crise, on va passer de 56 % de dépenses publiques en 2019 (9 points de plus que la moyenne de la zone euro) à 63 % en 2020.

Cela signifie que l’Etat contrôlera l’utilisation de 63 % du revenu national ​: « ​investissement public, retraites, santé, éducation, logement, aides aux familles, dépenses du marché du travail, sécurité, recherche ​», énumère Patrick Artus, chef économiste de Natixis. Les Français se tournent désormais de plus en plus vers le secteur public et la garantie publique.

Cette omniprésence de l’Etat dans l’économie est-elle durable ou la fin de la crise sanitaire conduira-t-elle à une inversion de cette tendance ? Il est encore un peu tôt pour tirer de telles conclusions mais si les vaccins vont accélérer la reprise économique, ses contours restent encore à définir.

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