La reprise, mais dans quelles conditions ?
Maintenant que le monde entier se lance, à des rythmes différents mais avec une volonté affirmée, dans la vaccination des populations contre le coronavirus, les agents économiques peuvent envisager de se projeter dans l’avenir. Il s’agit actuellement d’évaluer l’impact de la réouverture de l’économie sur l’inflation et la politique monétaire des banques centrales.
De nombreuses inconnues demeurent sur l’ampleur de la reprise de l’activité économique en 2021. Certains instituts, quand ils ne renoncent pas à l’analyse prédictive, insistent sur la fragilité compréhensible de leurs travaux, sans cesse remis en cause par l’évolution, imprévisible par définition, de la situation sanitaire. Le risque est actuellement d’estimer le rythme de la réouverture des économies et son impact sur la croissance et les pressions inflationnistes. L’ampleur des plans de relance comme la politique de taux zéro des banques centrales font craindre à certains investisseurs une surchauffe de l’économie.
La peur de l’inflation revient, les taux d’intérêts remontent et les actions chutent lourdement. Le rendement des bons à dix ans du Trésor américain a franchi jeudi 25 février la barre des 1,55 %, un record depuis le début de la pandémie de Covid-19. Le gain a été de 0,20 point en deux jours et le niveau quatre fois supérieur au plus bas de 0,38 % touché début septembre 2020.
Les investisseurs pensent que les plans de relance, la politique de taux zéro des banques centrales et les progrès de la vaccination, vont faire repartir l’économie, mais aussi conduire à une surchauffe et à une reprise de l’inflation. L’inflation est attendue en hausse dans les prochains mois et même les prochaines semaines.
Une hausse des prix, ça signifie une dépréciation de l’argent. Et pour compenser cette dépréciation, ceux qui empruntent, comme les États, par exemple, doivent payer un peu plus d’intérêts pour attirer les prêteurs.
Au-delà de l’inflation, ce que redoutent donc les agents économiques, c’est la remontée des taux. Les taux d’intérêt réels sont aujourd’hui négatifs et cela représente une opportunité pour les Etats qui doivent aujourd’hui faire face à un gonflement de leurs dettes. Un renchérissement du coût de la dette trop rapide et trop fort aurait des conséquences importantes sur la reprise. Plusieurs facteurs sont scrutés pour analyser le risque de surchauffe pouvant se traduire par de l’inflation et une hausse des taux.
Aux Etats Unis, le plan de relance de 1900 milliards de dollars de Joe Biden désormais adopté par la Chambre des représentants est vu selon certains observateurs comme un accélérateur d’inflation. On attend une croissance de 6 % cette année aux Etats-Unis.
Dans le contexte de choc d’offre engendré par la crise sanitaire, les plans de relance par la demande ont réussi à stabiliser la chute d’activité, mais ils ont également créé les conditions de la hausse des prix.
Pour le moment, les glissements annuels des prix à la consommation restent sous contrôle : autour de 1% en Allemagne, en France et dans l’ensemble de la zone euro, ou encore 1,4% aux Etats-Unis. Toutefois l’augmentation récente et à venir des cours des matières premières, l’amélioration de la croissance mondiale et les mouvements de relocalisation des pays à bas-coûts vers des pays aux coûts plus élevés risquent d’accélérer le rythme de l’augmentation des prix.
Dans l’hypothèse où les prix augmentent alors que l’emploi et les salaires ne suivent pas, les ménages subissent une forte baisse de leur pouvoir d’achat, ce qui casse la consommation, puis l’investissement des entreprises, suscitant une spirale dangereuse de stagflation. L’augmentation des cours des matières premières est désormais généralisée : depuis leur plancher du printemps 2020, ces derniers ont tout simplement flambé : + 330% pour le baril de brent et + 65% pour l’indice CRB de l’ensemble des matières premières.
Le cours du blé a également augmenté de 37% sur un an et atteint désormais un plus haut depuis 2014. Autre exemple, l’indice du taux de fret maritime a explosé de 190% depuis le printemps 2020 et se hisse désormais sur un plafond depuis 2008.La résurgence de l’inflation sera difficile à supporter et limitera inévitablement l’allure de la reprise.
L’aggravation de l’inflation va aussi susciter une augmentation des taux d’intérêt des dettes publiques et des crédits dans tous les domaines : consommation, immobilier, investissement des entreprises.
La remise en route des chaînes d’approvisionnement mondiales, après le coup d’arrêt d’il y a un an, se fait avec des goulots d’étranglement, comme par exemple sur le marché des microprocesseurs ou des porte-conteneurs. Ce qui a comme conséquence des prix du fret en hausse et des pénuries de composants électroniques dans certaines industries, dont l’automobile.
Les entreprises sont prêtes à répercuter une partie des tensions sur leurs coûts dans les prix de vente, plutôt qu’à réduire leurs marges. Elles seront d’autant plus enclines à le faire que la demande sera vigoureuse, ce qui a de bonnes chances de se produire avec la levée progressive des contraintes sanitaires conjuguée au déploiement d’importants plans de relance ; celui des Etats Unis étant le plus significatif même si la proposition sur le salaire minimum ne sera pas nécessairement adoptée par le Sénat américain.
Toutefois, l’économiste en chef du FMI, Gita Gopinath, a récemment balayé les craintes d’une inflation durable et forte aux Etats Unis (elle table sur 2,25% en 2022) qui serait provoquée par le plan de relance. Elle met en avant « les facteurs structurels » qui affaiblissent la relation entre inflation et activité économique, dont la mondialisation et la hausse de l’automatisation.
En outre, les banquiers centraux n’ont pas atteint leur cible d’inflation ces dernières années et il est peu probable que la pandémie puisse inverser la tendance sur le long terme. Une fois ces éléments techniques et transitoires passés, un retour progressif à un régime inflationniste mesuré inférieur à 2 % – cible fixée par les principales banques centrales mondiales – apparaît comme le scenario le plus plausible.
En Europe, la bonne tenue de l’euro pourrait jouer contre un rebond plus structurel. Une monnaie forte limite l’effet inflationniste des importations.
Dans cet environnement de doute quant au regain de l’inflation et par conséquent d’une hausse des taux, les marchés financiers sont dans une incertitude et baissent.
Les fonds obligataires sont les premiers affectés mais pour certains, orientés majoritairement vers le crédit, ils subissent deux facteurs inverses : le spread de crédit se resserre grâce à la reprise d’activité et augmente ainsi la valeur des obligations et la remontée des taux fait baisser les obligations. Il est donc important d’identifier en amont le process de sélection des titres et l’objectif principal de placement de chaque fonds.
Les actions, bien que, dans un premier temps affectées par une remontée des taux d’intérêt en raison d’une moins bonne compétitivité de la classe d’actifs par rapport aux obligations, sont toutefois le produit financier le plus attractif dans une phase de redémarrage de l’inflation.
En effet, contrairement à la plupart des obligations (à l’exception des obligations indexées sur l’inflation) le dividende versé par la société aux détenteurs d’actions va tenir compte de l’évolution de l’inflation. Dans l’hypothèse d’une correction des marchés actions, il sera nécessaire d’être réactif afin de prendre des positions sur cette classe d’actifs qui reste la plus performante à long terme.