Que pense la FED de la situation économique et financière ?
Comme chaque année depuis 40 ans, les banquiers centraux du monde entier se sont réunis à Jackson Hole fin août afin de débattre de l’impact de la crise sanitaire sur l’économie mondiale, d’observer le dynamisme de la reprise et d’analyser les risques de dérapage (ralentissement de la croissance, surchauffe, inflation…).
Les banques centrales ont pris des mesures sans précédent pour limiter les retombées négatives du Covid 19 sur les entreprises, les conditions financières et l’économie globale.
La politique monétaire expansionniste qui a été mise en place avec rapidité a permis de freiner les effets de la récession. Les liquidités abondantes ont permis au système financier de rester solide et de ne pas aggraver le ralentissement économique.
Depuis la crise financière de 2007-2009, les Présidents de la Réserve Fédérale américaine (FED) ont régulièrement profité de cette conférence pour annoncer d’importants changements de politique monétaire ou évoquer leurs anticipations de perspectives économiques. Cette année encore, la réunion a été marquée par le discours très attendu de Jerome Powell.
Dès les premiers mots de son allocution, il a annoncé un probable « tapering » d’ici la fin de l’année. Ce terme signifie la réduction des achats d’actifs obligataires mensuels de la FED qui s’élèvent aujourd’hui à 120Mds$. Cette annonce n’en est pas une ; en effet, les Minutes de la dernière réunion du FOMC (Federal Open Market Commitee) y faisaient déjà allusion.
Powell note que depuis le début de la pandémie, le soutien monétaire apporté à l’économie a eu comme bénéfice d’alimenter une forte reprise bien qu’irrégulière. La consommation des ménages a ciblé essentiellement les biens manufacturés et beaucoup moins les dépenses de service. Cette forte demande de biens a créé des goulets d’étranglement et une inflation de certains biens durables résultant d’une pénurie de matières premières ou de composants. Le coût du fret, en très forte hausse, a également contribué au renchérissement de certains produits.
En ce qui concerne l’inflation, J. Powell reste constant dans son appréciation. Il attend un ralentissement d’ici quelques mois.
Sur 12 mois, à fin juillet, les inflations totale et « core » s’élèvent respectivement à 4,2% et 3,6% soit des niveaux supérieurs aux attentes de la FED de 2%. Rappelons que la core inflation est une mesure de l’inflation dont on a retiré certains éléments fluctuants comme le prix des carburants et les matières premières agricoles.
Ces chiffres sont toutefois à relativiser ; la hausse des prix très marquée de certaines matières premières ou biens durables, est le résultat d’un décalage entre l’offre et la demande qui, selon la FED, devrait se régulariser dans les prochains mois. On constate également que les anticipations d’inflation des grands acteurs économiques à plus long terme sont proches des 2%, objectif affiché de la FED.
L’inflation durable ne pourrait s’installer que si la boucle prix/salaires est activée : la hausse des prix entrainant celle des salaires qui pousse les prix encore plus haut… Actuellement, même aux Etats Unis et dans d’autres pays proches du plein emploi, on ne constate pas encore ce phénomène. Il faut toutefois noter que les difficultés de recrutement des entreprises pour certains postes pourraient si elles se prolongent avoir des conséquences sur les salaires qui devraient être revus à la hausse. Cette hausse des salaires dans certains secteurs d’activité est, selon la FED, «essentielle pour soutenir la progression du niveau de vie ».
Powell a également précisé que la stratégie concernant l’inflation s’orientait désormais sur « un ciblage de l’inflation en moyenne ».
Le « tapering » annoncé d’ici décembre sera en revanche bien distinct de la future hausse des taux. Selon J. Powell, celle-ci n’aura lieu que lorsque des données économiques plus exigeantes auront été constatées. La FED attend des tendances claires d’amélioration voire de stabilisation de certains indicateurs. En outre elle observe avec beaucoup d’attention la reprise de l’épidémie sur le sol américain avec l’émergence du variant Delta.
Nombreux sont les économistes, qui, à l’écoute de ce message et compte tenu de la situation actuelle, n’anticipent pas de hausse des taux avant mi-2023. De fait on constate que l’anticipation de l’évolution des taux d’intérêt par les marchés a beaucoup évolué depuis le début d’année. Au cours des premiers mois (jusqu’à fin mars) les taux américains à 10 ans ont fortement progressé traduisant la crainte des opérateurs d’une forte accélération de l’inflation et d’un revirement de la politique monétaire. Cette hausse a fait place à une décrue des rendements qui s’affichent aujourd’hui à 1,28% pour le taux à 10 ans.
Certains économistes évoquent en revanche un montant de « tapering » (baisse des achats) de 15 à 20 Mds$ dans les tous prochains mois.
Ce discours de J Powell n’a pas eu, jusqu’à présent, de réel impact sur les marchés financiers qui avaient assimilé les signaux envoyés au cours des dernières semaines.
La FED reste très attentive au cycle économique et financier américain et redoute une crise financière qui pourrait avoir des conséquences désastreuses sur une économie fragilisée par la pandémie. En outre, la reprise des contaminations liées au variant Delta et à un tassement du rythme de vaccination incite la banque centrale à beaucoup de prudence.
Une autre partie du discours de J. Powell a porté sur le marché du travail. Il a en effet rappelé qu’un des mandats de la FED est la préservation de l’emploi. L’institution entend concentrer ses efforts pour promouvoir un emploi maximal ; en effet les conditions s’améliorent mais elles sont encore instables. Le Président de la Réserve Fédérale souligne que « les perspectives du marché du travail se sont améliorées » mais pour autant on constate que le taux de chômage reste encore élevé à 5,4%.
Ce chiffre global dissimule des disparités importantes. Le chômage de longue durée reste élevé et la reprise du taux d’activité est très lente. La FED compte sur l’accélération de la vaccination, la réouverture des écoles et la fin des aides au chômage pour inciter les américains à reprendre le travail et permettre ainsi de nouveaux progrès vers le plein emploi.
Cette année, la réunion de Jackson Hole aura donc vu un patron de la FED essayer de ménager les marchés tout en indiquant que son objectif à terme serait de retrouver une politique monétaire plus normalisée avec l’espoir d’une stabilisation de l’inflation sur un niveau acceptable sans casser la dynamique du marché du travail.
Au cours des prochains mois, les indicateurs économiques américains vont retenir l’attention des opérateurs sur les marchés. Tout écart par rapport aux anticipations fera l’objet d’une analyse détaillée et pourrait provoquer des mouvements d’ampleur. La volatilité pourrait bien retrouver une place de choix sur les marchés.