Croissance durable : Oxymore ou ambition réalisable ?
A l’heure où le monde entier a les yeux tournés vers Glasgow, ville d’accueil de la COP 26, il est difficile de ne pas s’interroger sur les réponses qui pourront être apportées par les Etats membres de la CCNUCC (Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) aux enjeux majeurs que constituent les conséquences du réchauffement de la planète pour l’humanité.
L’actualité économique et financière a été particulièrement dense au cours du dernier mois. Les chiffres publiés montrent une reprise inégale de l’activité selon les pays. Les Etats Unis affichent une croissance soutenue et un niveau de chômage proche de celui d’avant crise sanitaire. Les créations d’emplois sont importantes mais le nombre de postes à pourvoir reste toujours très élevé.
En Europe la croissance résulte principalement de la consommation soutenue par le niveau d’épargne atteint en 2020. Toutefois, l’économie de certains pays comme l’Allemagne souffre de la pénurie de matières premières. Les carnets de commande sont pleins mais dans certains secteurs, la production est à l’arrêt faute de pièces comme les semi-conducteurs. Ces pénuries ont deux conséquences : le ralentissement de la croissance et la hausse des prix des produits pour lesquels les entreprises peuvent répercuter la hausse des coûts sur le consommateur final.
Le retour de l’inflation est un débat toujours en cours entre les marchés et les banques centrales ; ces dernières maintiennent un discours en demi- teinte en considérant que le niveau actuel de l’inflation ne devrait pas se maintenir après le deuxième trimestre 2022 et que de fait un changement significatif de la politique monétaire n’est pas envisagé bien que certaines mesures de Tapering soient annoncées par la FED.
Alors que les grandes questions économiques mobilisent les marchés, ces derniers ont salué la publication des résultats des entreprises souvent largement supérieurs aux attentes des analystes financiers. Au troisième trimestre, l’impact de la hausse des prix et de la pénurie de matières n’a pas été trop ressenti dans les chiffres publiés par les entreprises.
Toutefois la vigilance sera de mise au T4 ; ce trimestre en cours permettra d’identifier les entreprises avec un fort « pricing power » ayant de fait la possibilité de répercuter la hausse des prix de l’énergie et des matières premières dans leur prix de vente. Le stock picking srra donc déterminant dans un marché ayant déjà enregistré des records en Europe comme aux Etats Unis.
Alors que l’on constate cette envolée des actifs (actions, immobilier, actifs non cotés, cryptoactifs, NFT…) résultant de cette abondance de liquidités générée par les banques centrales, la COP 26 essaie de trouver des solutions pour limiter le risque climatique.
La COP26 doit permettre notamment de limiter le réchauffement climatique de la planète à 1,5 degrés d’ici la fin du siècle.
Deux accords ont déjà été signés par les chefs d’Etat. Le premier porte sur le ralentissement de la déforestation. Les forêts contribuent à freiner le réchauffement climatique. Elles absorbent une partie des gaz à effet de serre libérés dans l’air. Leur périmètre se réduit d’année en année. Plus de 100 pays se sont engagés aujourd’hui à interrompre cette déforestation d’ici à 2030.
Le deuxième accord porte sur la réduction des émissions de méthane. Ce gaz est émis notamment par l’élevage ou encore les mines de charbon et il a une forte capacité à piéger la chaleur : il est responsable de 30% du réchauffement de notre planète depuis la révolution industrielle. 80 pays se sont engagés à réduire de 30% les émissions de méthane d’ici à 2030.
Une autre mesure phare a été adoptée par une vingtaine de pays dont les grands investisseurs comme les Etats-Unis et le Canada et des institutions financières. Ils se sont engagés à mettre un terme d’ici fin 2022 au financement à l’étranger de projets d’énergies fossiles sans techniques de capture de carbone.
Il faut toutefois noter que la France, qui veut continuer de soutenir l’industrie gazière jusqu’en 2035 ne fait pas partie de cet accord. Elle a même fait pression pour que le gaz fossile soit inclus dans la taxonomie verte européenne, la classification de l’Union européenne des investissements considérés comme « verts ».
Une coalition de plus de quarante États a en outre annoncé vouloir sortir du charbon avant la fin des années 2040.
Alors que l’absence de Xi Jinping à Glasgow était source de fortes inquiétudes, la Chine et les Etats-Unis, premiers émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, ont annoncé mercredi soir un accord surprise. Les Etats Unis et la Chine reconnaissent la gravité et l’urgence de la crise climatique. Les deux puissances réaffirment leur attachement aux objectifs de l’accord de Paris, soit un réchauffement limité « bien en deçà » de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, et dans la mesure du possible à 1,5°C. Les deux parties entendent collaborer sur un certain nombre de sujets liés à la réduction des émissions de CO2 mais aussi de méthane. La Chine et les Etats Unis ont enfin « l’intention de créer un « Groupe de travail sur le renforcement de l’action climatique dans les années 2020 », qui se réunira régulièrement pour faire face à la crise climatique.
La présence de Narendra Modi, premier ministre indien, a offert une petite lueur d’espoir pour le continent asiatique. L’Inde, quatrième émetteur du monde de gaz à effet de serre, a en effet annoncé cette semaine viser une neutralité carbone d’ici à 2070.
Si tous les engagements en matière de climat annoncés à ce jour à la COP26 étaient respectés intégralement et à temps, ils suffiraient à maintenir la hausse des températures mondiales à 1,8 °C d’ici 2100. C’est l’annonce faite, en fin de semaine dernière, par le directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
Toutes ces négociations se déroulent dans un climat de grandes tensions entre militants, activistes, représentations diplomatiques de pays déjà très fragilisés par le changement climatique d’un côté et les nombreux lobbyistes des énergies fossiles de l’autre.
Le sujet du nucléaire est également présent à la COP26. L’argument principal exposé par les défenseurs de cette énergie sur fond de climat déréglé : des émissions de CO2 très limitées, liées à l’extraction d’uranium et au béton des centrales. Le monde est tellement en retard sur ses objectifs climatiques et la transition énergétique à mettre en place pour éliminer les hydrocarbures, que les arguments présentés ont des chances d’être écoutés. Dans la plupart des scénarios du Giec (les experts climats de l’ONU) pour limiter le réchauffement à +1,5°C, la part du nucléaire a été augmentée ; mais les experts climat de l’ONU soulignent aussi qu’un déploiement « peut être contraint par des préférences sociétales ».
Force est de constater que les enjeux climatiques auront (et ont déjà) des conséquences politiques, géopolitiques, économiques et sociales à des degrés divers sur l’ensemble de la planète. La finance se doit de prendre en compte ces risques et ces nouvelles contraintes qui devront être au cœur de la gestion d’actifs. La finance durable n’est ni une mode, ni une accroche marketing mais une lame de fonds puissante qui s’impose dès à présent.