L’Europe fragilisée
Alors que la menace sanitaire semblait être derrière nous, la reprise de la pandémie et le nouveau variant attisent les craintes de retour à des mesures restrictives qui pourraient une nouvelle fois peser sur l’économie. L’Europe semble particulièrement touchée par le regain de contaminations et à la veille des vacances de fin d’année, les frontières se ferment, mettant en danger le secteur du tourisme déjà lourdement pénalisé depuis près de deux ans.
Le retour en force du Covid n’est pas la seule menace pour l’économie européenne. En novembre, la hausse des prix a atteint 4,9% sur un an dans la zone Euro, taux jamais atteint depuis la création de la monnaie unique. Cette hausse de prix touche inégalement les pays membres avec des niveaux très élevés dans le nord de l’Europe (9,3% en Lituanie, 8,4% en Estonie) mais également en Allemagne (6%) ou encore la Belgique (7,1%). La France est relativement épargnée, l’indice des prix affiche une hausse de 3,4%.
Cette hausse des prix résultant en grande partie de l’envolée des prix de l’énergie (+27% en un an) affecte fortement le pouvoir d’achat. Il faut toutefois noter que hors énergie, l’inflation est de 2,5% très proche de l’objectif de 2%. Le débat sur la durabilité de l’inflation agite les sphères économiques. Dans l’hypothèse d’une aggravation de la pandémie, la mise en place de nouvelles mesures de restriction aurait comme conséquence de mettre un frein sur la demande (particulièrement de services) et donc de réduire la pression inflationniste. Toutefois, on pourrait également constater des perturbations sur les chaines d’approvisionnement qui se traduiraient par une hausse des prix.
L’Europe bénéficie actuellement d’une reprise économique assez hétérogène. A noter que la France affiche des chiffres supérieurs à bien d’autres pays voisins en particulier à l’Allemagne. Le PIB allemand est en hausse de 1,7% au troisième trimestre (3% pour la France).
Cette reprise poussive de l’économie allemande, après une baisse moins importante en 2020, s’explique principalement par la forte dépendance de l’industrie à des matières premières actuellement en pénurie comme les semi-conducteurs. Cependant la demande de produits allemands sur les marchés mondiaux reste élevée et on peut s’attendre à un effet de rattrapage en 2022 si le rythme des livraisons se rétablit à des niveaux d’avant-crise sanitaire.
L’Europe pourrait enfin être fragilisée par le changement de gouvernement en Allemagne. L’Allemagne a un nouveau Chancelier depuis le 8 décembre ; les trois partis SPD, Grünen, FDP) qui composent la coalition étant parvenus à un accord de gouvernement. La pandémie a conduit notre voisin d’Outre Rhin à adopter deux décisions majeures qui semblent surprenantes au regard de sa tradition budgétaire : la mise en place d’un plan de sauvetage et un plan de relance européen appuyé sur un endettement commun.
Cette remise en cause de l’orthodoxie budgétaire va à l’encontre de tous les principes allemands inscrits dans la loi fondamentale de la République Fédérale. Le principe budgétaire essentiel est « les recettes et les dépenses doivent s’équilibrer ». Cette règle d’or allemande est plus restrictive que les règles européennes. Face à cette crise sanitaire et à ses impacts sur l’économie, l’Allemagne a établi un plan de soutien de 1.100 Mds € en 2020 avec la possibilité de recapitaliser les entreprises les plus durement touchées par la pandémie. AU global, l’Allemagne a multiplié les aides pour conforter les acteurs économiques en 2020 et 2021.
Le revirement de l’Allemagne a ses détracteurs parmi les conservateurs au Bundestag. Mais est-ce un changement pérenne de politique budgétaire auquel on assiste depuis 18 mois ? La coalition qui prend le pouvoir souhaite mettre en œuvre des projets ambitieux plus particulièrement dans le domaine de l’écologie tout en respectant les règles de rigueur budgétaire dont le frein constitutionnel à l’endettement. En effet, inscrit dans la constitution depuis 2009, ce mécanisme interdit à l’Etat fédéral de s’endetter de plus de 0,35% du PIB.
Cet ancrage dans une orthodoxie budgétaire présente également un versant européen. 750 Mds € sont levés sur les marchés par l’Union Européenne. Cet argent est mis à disposition des Etats les plus touchés par la crise et remboursés par l’ensemble des 27 états. Cette décision prise par le gouvernement Merkel démontre que l’Allemagne a conscience qu’elle a besoin de l’Europe. Son économie dépend en grande partie du commerce intra-européen (67% des importations et 67% des exportations).
La Chancelière a rapidement compris que des mesures fortes visant à soutenir les économies de partenaires européens de l’Allemagne étaient nécessaires. Angela Merkel explique ainsi « Il est dans l’intérêt de l’Allemagne que nous ayons un marché unique fort, que l’Europe devienne de plus en plus une et qu’elle ne s’effondre pas. Ce qui est bon pour l’Europe est bon pour nous. » Ainsi l’Allemagne s’affiche comme délibérément solidaire et entérine le fait que les crédits soient remboursés non pas par les seuls bénéficiaires mais collectivement au prorata des contributions budgétaires de chacun.
Ce revirement de notre voisin d’outre-Rhin a également comme objectif de mettre le pays et L’Europe sur une trajectoire économique visant à respecter l’objectif de réchauffement climatique de 1,5% C.
Un effort d’investissement massif sera consenti dans le domaine des infrastructures de la numérisation de l’économie, des transports et des énergies renouvelables. La sortie du charbon est une mesure approuvée par les partenaires européens.
En revanche, l’arrêt total du nucléaire en 2022 crée des tensions avec la France qui de son côté a décidé de relancer son programme de construction de centrales.
Au cours des prochains mois, la politique économique et sociale de l’Allemagne sera observée avec attention par ses partenaires et en particulier par la France qui prend en janvier la Présidence de l’Union Européenne. Elle devra être le moteur de cette reconstruction industrielle basée sur le respect des exigences climatiques sans mettre en danger son équilibre budgétaire. Le Président Macron appelle à un bouleversement des contraintes budgétaires de l’Europe afin d’intégrer le financement de nouveaux investissements. Il devra cependant composer avec le nouveau ministre des finances allemand, Christian Lindner, partisan d’un retour à la rigueur budgétaire dès la sortie de la crise sanitaire
Les marchés financiers en Europe sont attentifs à la réalisation de ces objectifs qui sont une garantie pour la poursuite de la construction européenne et la stabilité de sa monnaie. La concrétisation d’une Europe économique et financière est un objectif défendu par la France qui devra convaincre l’Allemagne de sa pertinence.
Achevée de rédiger le 10 décembre 2021