Rédigé par Nicholas Tokay, supervisé par Fabienne Tokay
En ce mois de mars 2020, les vannes monétaires se sont ouvertes.
Après des années de politiques d’austérité budgétaire et monétaire, banquiers centraux et gouvernements se sont ligués contre le destin funeste qui se profilait à l’horizon suite au confinement généralisé de la planète.
Les économistes n’ont pas vu cela d’un mauvais œil, cette expansion monétaire alliée à une politique d’investissement massif des Etats a été la bienvenue sinon vitale.
Toutefois, un autre sujet a commencé à s’inviter dans les débats économiques, la crainte d’un retour d’une inflation galopante ou d’une déflation structurelle.
En effet, après plus d’un demi-siècle de combat acharné contre cet épouvantail économique initié par le président de la FED, Paul Volker, au début des années 80, la crainte d’une récession historique a presque fait oublier à nos banquiers centraux l’existence de l’inflation.
Mais une interrogation légitime semble donc émerger dans bon nombre d’esprits, « Quels risques réels sur l’économie peut-on craindre de l’inflation ? ».
Il nous semble à ce jour opportun de préciser ces notions, afin de mieux appréhender les données qui conduisent à la construction de scenarii économiques.
L’inflation est un indicateur permettant de mesurer l’évolution de la hausse des prix, à contrario de la déflation qui mesure l’évolution de ces derniers à la baisse. Ces derniers sont calculés sur la base de l’IPC (Indice des Prix à la Consommation), qui est pondéré afin de représenter un panier moyen d’un consommateur moyen de la zone étudiée. L’évolution de cet IPC de manière glissante, mois après mois ou année après année, nous donne donc des indications sur l’inflation ou la déflation.
Le calcul de ces indicateurs est souvent sujet à controverse, car l’inflation n’est jamais parfaitement ressentie. Le système de pondération de ces indicateurs peut parfois faire émerger un décalage entre le réel niveau de ces derniers et le niveau ressenti par le consommateur. L’exemple typique est le prix des hydrocarbures ou de produits agroalimentaires qui ne sont pas compris dans le calcul de l’IPC, en raison de leur volatilité trop importante.
Intéressons-nous pour le moment à l’inflation.
Dans l’esprit de la plupart des gens, l’inflation est le mal qui ronge notre économie, une épée de Damoclès pesant sur l’épargne accumulée par tout un chacun.
Ce point de vue est vrai, mais prend le problème à la mauvaise échelle, car l’inflation doit-être considérée à un niveau agrégé et non individuel pour en comprendre la réelle teneur.
L’inflation est d’abord un indicateur qui nous informe que notre économie est stimulée et donc en croissance.
Effectivement, l’inflation va avoir comme conséquence l’érosion du capital des épargnants mais elle permet aussi d’alléger le poids financier des dettes et incite les consommateurs à continuer de consommer, les investisseurs à investir, etc… Cette stimulation des consommateurs va conforter les perspectives des entreprises. En effet celles-ci vont enregistrer une croissance de leur chiffre d’affaires par le biais d’une hausse de la production ou par la hausse des prix, faute de capacité de production. Cela permettra d’augmenter la masse salariale et par translation, d’augmenter l’épargne des consommateurs initiaux.
Ce qui caractérise l’inflation, c’est que ce phénomène « s’auto-entretient » à l’instar d’une prophétie auto-réalisatrice.
La hausse des prix puis des revenus, va inciter les ménages à consommer dans les mêmes proportions, augmentant donc toujours et encore le chiffre d’affaires des entreprises et ainsi de suite tant que la confiance des consommateurs dans la bonne santé de l’économie n’est pas altérée.
C’est un magnifique cercle vertueux, qui en réalité n’a aucune répercussion sur le pouvoir d’achat au niveau agrégé, car il n’y a pas de variation réelle* des prix relatifs. En économie, on appelle cet effet « l’illusion monétaire ». Personne ne gagne ou ne perd d’argent car ce qui nous intéresse, ce n’est pas la valeur de la monnaie mais la valeur relative des biens entre eux. Pour mieux appréhender ce phénomène, faisons une petite expérience hypothétique :
Imaginons un pays avec uniquement comme produits alimentaires des camemberts et des baguettes.
Imaginons que le prix d’une baguette est de 1€, et le prix d’un camembert 2€, cette situation est équivalente pour le consommateur si la baguette vaut 10€ et le camembert 20€.
Ici, les prix ont été multipliés par un coefficient multiplicateur de 10, mais en réalité rien n’a changé, puisque ce qui intéresse le consommateur, c’est le prix relatif des biens entre eux.
On peut donc se poser légitimement la question :
« Mais, si les prix augmentent, mon pouvoir d’achat diminue ? »
A vrai dire non ou du moins la plupart du temps, la perte du pouvoir d’achat est temporaire.
Lorsque les prix augmentent, à très court terme notre pouvoir d’achat (notre salaire réel) est affecté. Mais cette hausse des prix augmente également le chiffre d’affaires des entreprises, qui vont donc après des négociations, augmenter très probablement les salaires. A terme, le salarié/consommateur n’aura pas perdu de pouvoir d’achat.
L’inflation est toutefois une menace pour notre épargne si celle-ci n’est pas gérée dans l’optique de lutter contre l’érosion du capital.
Si l’inflation est si bénéfique que cela, alors pourquoi la craindre ou même s’en méfier ? Depuis le début de cet article nous parlons d’inflation sans en définir le niveau. Il est important de comprendre que l’inflation est bénéfique dans des proportions modérées et lorsqu’elle est contrôlée. C’est pour cela qu’en Europe, l’inflation est fixée à un « ancrage nominal », c’est-à-dire un niveau, de 2%.
Les banquiers centraux, pour atteindre cet « ancrage nominal », ont une vision très précise du marché monétaire, et utilisent de nombreux outils macro-économiques dont l’un des plus connus est la théorie quantitative de la monnaie énoncée par l’économiste néo-classique, Irving Fisher.
La théorie quantitative de la monnaie donne en effet une représentation relativement fiable des relations entre masse monétaire, niveaux des prix agrégés, et production.
Cette théorie peut être traduite par une équation extrêmement simple. L’égalité entre la masse monétaire existante sur le marché multipliée par la vélocité de la monnaie, et le PIB nominal, c’est-à-dire le niveau de production réel multiplié par les prix agrégés :
M*V = P*Y
Ici, une notion est centrale pour comprendre au mieux cette équation, la vélocité de la monnaie. Cette vélocité est en réalité la vitesse des transactions dans une économie, et est inversement proportionnelle à la proportion d’épargne des ménages de l’économie.
Irving Fisher a supposé la vélocité de la monnaie à court terme constante, ce qui dans le contexte actuel, véritable singularité économique, est largement discutable.
Revenons à notre équation, ici, les banquiers centraux ont la main sur une seule variable, la masse monétaire en circulation. Récemment, ces derniers ont joué un jeu dangereux car leur politique monétaire audacieuse visant à contrer les prédictions économiques délétères était largement génératrice d’inflation. En effet, les banques centrales ont littéralement inondé les marchés financiers de masse monétaire afin d’essayer de relancer la production et éviter ainsi une récession historique. Toutefois, afin que cette politique soit efficace, ils ont fait deux hypothèses discutables.
La première, qui était que la production agrégée aurait la capacité de suivre la hausse de la demande, chose complexe à admettre étant donné de nombreuses variables impactant cette dernière, telle que la technologie, le niveau de productivité, etc…
La deuxième, était que le confinement et la peur de licenciements, laisserait la vélocité de la monnaie à un niveau extrêmement faible, ce qui n’est pas assuré compte tenu de la situation inédite que nous vivons.
Si une de ces deux hypothèses venait à ne pas être correcte, l’impossibilité des firmes à suivre le rythme infernal des banques centrales se traduira par une hausse brutale du niveau des prix agrégés.
Toutefois, il semble aujourd’hui peu probable que ces deux hypothèses soient invalidées, bien au contraire.
Dans le cas où l’inflation atteint des niveaux importants tels que 50% ou plus durant une période assez longue, on considère que l’on entre en « hyper-inflation ».
Cette hyper-inflation déstabilise les valeurs nominales des biens et services et les consommateurs paniquent, aggravant cette hyper-inflation car, lorsque les prix doublent toutes les semaines, le consommateur veut consommer avant que les prix n’augmentent encore plus rapidement. La vitesse des échanges dans l’économie se multiplie et une machine infernale se met en place, menant à l’appauvrissement généralisé de la population jusqu’à atteindre la pénurie de biens alimentaires pouvant induire une famine d’une grande partie de la population car plus rien n’a de sens dans ce type d’économie.
L’Histoire a connu de nombreux exemples d’hyper-inflation. La révolution française, l’entre-deux guerre en Allemagne ont été des périodes hyper-inflationnistes importantes.
Plus récemment, le Venezuela a connu une grave crise hyper-inflationniste avec un niveau de plus de 10 000% en 2019.
De nos jours, le Bolivar Vénézuélien ne vaut que 0,0000044 Euro, le positionnant donc comme une monnaie extrêmement faible sur le plan du commerce international.
Effectivement, à l’intérieur du pays, une inflation galopante pose d’énormes problèmes, mais en dehors du pays aussi. Les monnaies sont en perpétuelles concurrences. Si l’illusion monétaire s’exerce bien à l’intérieur d’une économie, elle ne fonctionne pas par définition dans une économie ouverte sur le monde et va peser énormément sur la balance commerciale d’un pays.
Le contexte actuel de mondialisation et d’économie spécialisée accentue le phénomène d’hyper-inflation car les prix externes exprimés en monnaie étrangères vont sembler exorbitants.
Cet argument est tout de même à tempérer étant donné les jeux de taux de change entre les économies.
Mais si l’inflation semble être un risque assez éloigné dans la zone euro en raison des outils à disposition de la BCE, la déflation, autre pan de la variation de la valeur monétaire est un problème bien moins connu du grand publique et pourtant tout aussi dangereux que l’inflation si ce n’est plus.
La déflation, baisse généralisée des prix, marche à rebours du système d’inflation. En effet, s’il parait pour les ménages satisfaisant de voir les prix diminuer et donc leur pouvoir d’achat augmenter, cette boite de pandore ne doit jamais être ouverte.
La chute à long terme des prix va diminuer drastiquement l’incitation des consommateurs à consommer en période t lorsqu’ils savent qu’en période t+1 les prix seront surement plus bas.
Cette chute de la consommation va diminuer les ventes des entreprises qui vont donc voir leur chiffre d’affaires baisser.
Mais, alors que l’économie en période inflationniste s’adapte parfaitement à une inflation modérée, la déflation paralyse le système car, s’il est possible de négocier à la hausse les salaires nominaux, la rigidité à la baisse est bien réelle. Cette impossibilité de réduire les salaires va induire une hausse du chômage, diminuant encore plus la consommation et va enclencher un cercle vicieux.
Ce cycle déflationniste est dévastateur, et à contrario des tendances inflationnistes, est bien plus complexe à manœuvrer.
Seul un investissement massif des Etats peut contrer ce processus, investissement parfois financé par les banques centrales comme pour le Japon, embourbé dans ce cycle depuis maintenant plus de 20 ans.
Mais l’exemple le plus flagrant de déflation est la grande dépression des années 30 aux Etats-Unis, conséquences du grand krach financier de 1929. Le pays ne s’en est sorti qu’à la suite d’un ambitieux plan de refinancement de l’économie piloté par Franklin Roosevelt, le « New deal ».
Le point commun à l’hyper-inflation et la déflation, est le rôle que les anticipations ont dans leur processus.
Ces deux phénomènes s’entretiennent et vont même générer une effet boule de neige aggravant la situation.
La psychologie des consommateurs et leurs anticipations sont les pierres angulaires de ces phénomènes.
Les banques centrales grâce à leur indépendance, ont donc pour but implicite d’entretenir un lien de confiance avec les populations et d’expliquer avec transparence les objectifs de leurs politiques afin d’influer sur la psychologie collective des populations.
Si les moyens engagés depuis toutes ces années par les banquiers centraux nous protégeaient de ces risques majeures, l’avenir semble beaucoup plus imprévisible.
Mais alors, quid de la situation actuelle ? Si l’hypothèse de l’inflation galopante résultant des injections colossales de monnaies était initialement privilégiée, l’augmentation flagrante de la fraction épargnée des revenus, par peur de l’avenir, a pris à rebours les banquiers centraux. La diminution de la vitesse des cycles économiques est révélatrice des tendances déflationnistes qui semblent actuellement la préoccupation principale des dirigeants des banques centrales. Les taux d’inflation proche des 0% comme par exemple en France avec ses 0,2% en Mai 2020 par rapport à Mai 2019, préoccupent et semblent valider les suppositions des banques centrales qui vont tout mettre en place pour inverser la tendance.
*La différence entre les variables réelles et nominales est la prise en compte des prix. Une variable nominale est exprimée comme dans la vie de tous les jours, alors qu’une variable réelle prend en compte le niveau agrégé des prix dans son expression.
En effet, un salaire de 1500€ par mois à Paris, n’aura pas la même valeur réelle qu’un salaire de 1500€ par mois à Sisteron.