Article et interview par Florence Marmiesse, FM Art Consulting

 

Autrefois réservé à un cercle d’initiés, le monde de l’horlogerie de collection a évolué de manière significative ces dernières années et s’est dépoussiéré en s’ouvrant à des passionnés du monde entier.
Que se cache t-il derrière ce trésor national suisse qu’est l’horlogerie?

Les montres de collection attirent de plus en plus de nouveaux acheteurs souvent à la recherche d’investissements rentables. D’après le magazine Fortunes le marché des montres vintages représenterait 2 à 3 milliards de dollars. Les noms de Patek Philips et Rolex sont maintenant associés à rentabilité et retour sur investissement. Comme la montre iconique Rolex Submariner qui prend en moyenne 10% à 15% de valeur chaque année sur le marché de l’occasion. Ces chiffres attractifs illustrent un marché rentable en constante évolution, mais avec des caractéristiques façonnées par des acteurs passionnés.

Ce marché si spécifique comporte ainsi plusieurs particularités à travers lesquelles peut transparaître l’intérêt de faire appel à des horlogers indépendants.

Pour commencer son investissement en horlogerie, les deux points importants à rechercher sont : la rareté et la qualité.

La rareté car, comme souvent, la balance entre l’offre et la demande impacte la côte des pièces. Lorsque l’on commence une collection il est conseillé, comme pour l’Art, de débuter avec des pièces qui nous plaisent, que l’on aime et sans investir une somme d’argent trop importante.

Car si le marché se développe avec des records du monde retentissants tels que la Rolex “Paul Newman” Daytona de l’acteur éponyme, vendue $17.8 millions en octobre 2017 chez Phillips en association avec Bacs & Russo, ou encore la Patek Philippe Ref. 1518, adjugée $11 millions en novembre 2016 chez Phillips, ces mêmes grandes maisons de ventes aux enchères comme Sotheby’s, Christie’s ou Phillips proposent des montres à partir de 5000 $.

Pour se faire sa propre idée du marché et de ce que l’on aime, il est recommandé de se passionner, de se renseigner, et de croiser les informations.

On peut se concentrer sur un modèle, une marque, une période ou une caractéristique technique pour devenir expert dans cette catégorie. Aujourd’hui il est facile de trouver des informations dans des ouvrages spécialisés, sur Internet ou avec les catalogues de ventes aux enchères. En gardant cette devise d’aimer le modèle que l’on recherche, mieux vaut augmenter légèrement son budget initial pour s’offrir la montre que l’on désire vraiment et dont on ne sera pas déçu plutôt que de se résigner à acquérir un autre modèle.

Le deuxième point pour investir dans une pièce de collection est la qualité. Dans un marché où la moindre rayure risque de créer une décote de 5 à 20%, l’ensemble de la pièce doit être analysée lors de l’achat et conservée correctement. Pour plus de sécurité, il est préférable d’acquérir des montres auprès de maisons de ventes aux enchères plutôt qu’auprès de particuliers, car les spécialistes sont tenus d’ouvrir les pièces et de vérifier le mécanisme afin de s’assurer qu’aucune altération ou pièce n’a été échangée, comme cela se fait souvent.

Enfin, si votre coeur penche pour un modèle « précollectors », n’hésitez plus! Ces montres présentes sur le marché mais qui ne se fabriquent plus, sont accessibles et moins onéreuses que les neuves, elles représentent un placement sécurisant.

Le temps crée inévitablement des détériorations et donc des pertes, ne vaut-il pas mieux alors se tourner vers les jeunes horlogers indépendants pouvant réaliser des prouesses techniques artistiques?

La Grande Complication Marie-Antoinette de Breguet, exemple de chef d’œuvre avéré, terminée 34 ans après la mort de la reine, 4 ans après la mort d’Abraham-Louis Breguet et 44 ans après la commande, fut créée par l’horloger Axel Von Fersen, et aujourd’hui estimée comme la pièce d’horlogerie la plus chère au monde atteignant $30 millions.

Ou encore en 2012, le modèle « The Space Traveller » de l’horloger de génie George Daniels a été adjugé chez Sotheby’s au prix record de plus de 3,5 millions d’euros, soit plus du triple de son prix en 2012. Cet horloger indépendant a créé des oeuvres d’art et surpassé son art dans la lignée des maîtres horlogers.

La recherche de la perfection de ces horlogers indépendants encouragés par leur liberté n’est-elle pas la clef pour découvrir la prochaine Mona Lisa de l’horlogerie? Leur vie entière dédiée à la création de chef-d’oeuvres techniques est un gage d’investissement avisé.

À l’instar de Raúl Pagès, horloger suisse d’à peine 30 ans, déjà reconnu par ses pairs et membre de l’Académie Horlogère des Créateurs Indépendants – constituée des 31 plus prometteurs horlogers indépendants au monde. Après avoir travaillé très tôt au sein de l’atelier Parmigiani Fleurier sur la restauration de pièces de collection, dont des automates prestigieux tels que des oeufs de Fabergé, les pistolets à oiseaux chanteurs des frères Rochat ou une Grenouille et une Chenille de Henri Maillardet, il décide de fonder son propre atelier.

Raúl Pagès travaille sur la conception de son propre mouvement, une collection de haute horlogerie ainsi que des automates exceptionnels.

Il a ainsi développé une tortue animée par un mécanisme composé de plus de 300 pièces – toutes réalisées main – admirée et reconnue par le maître incontesté George Daniels.
Raúl Pagès développe également une série limitée de montres de haute horlogerie, pour une clientèle VIP provenant du monde entier. Cette clientèle habituée aux grandes marques a su reconnaître dans ce jeune horloger le talent prometteur de futurs chef-d’oeuvres.

Une chose est certaine ce marché en évolution se caractérise par l’amour de passionnés et la beauté de pièces alliés à la recherche de la perfection technique. Ainsi il est captivant d’investir dans un marché avec son coeur et de s’y plonger afin d’essayer de le maîtriser. Pièces vintages et horlogers indépendants, chacun saura vous satisfaire selon ce que vous recherchez.

Il y a quelques années un ami suisse m’a confié cette phrase avec un naturel déconcertant , qui m’est toujours restée en tête: « En Suisse il y a une montre pour chaque étape d’une vie: un diplôme, un emploi, un mariage, un enfant, un anniversaire, une retraite..etc ». À vous de trouver celles qui vous seront uniques!

« Tortoïse » de Raúl Pagès. Automate composé d’un mécanisme de mouvement de montre réalisé avec 300 pièces faites main, biseauté à la main, guilloché, émail et Côtes de Genève. Pièce unique entièrement réalisée en Suisse © Raúl Pagès

 

 

 


Interview

Nathalie Marielloni
Deputy Director / Conservatrice adjointe du Musée International d’Horlogerie, ancienne spécialiste Horlogerie pour Sotheby’s et Gemmologue

 

Florence Marmiesse : Aujourd’hui dans quelles marques recommanderiez-vous d’investir et pourquoi?

Nathalie Marielloni : Il est difficile pour moi de parler d’investissement. En horlogerie, comme dans le marché de l’art, il faut tomber amoureux! Il faut acheter ce qui nous plaît et convienne à notre budget. Les marques contemporaines qui aujourd’hui « rachètent » leur patrimoine et font monter leur côtes sur le marché des enchères font souvent le jeu de la spéculation. Ceci provoquant parfois un déséquilibre. Une pièce vintage de marque X qui en 2014 valait beaucoup d’argent se retrouve aujourd’hui avec une moindre valeur car la stratégie de la marque a désormais changé.

Pour moi, les horlogers indépendants, ceux qui « s’acharnent » à faire de la belle horlogerie avec des techniques de production traditionnelles tirent aujourd’hui leur épingle du jeu.
Toutefois, un collectionneur doit « faire ses recherches » et comprendre qu’il y a bienfacture et « Bienfacture » beaucoup de marques utilisent souvent la même terminologie sans pour autant y mettre la même éthique.

Je pense qu’il est important pour un collectionneur de pouvoir exiger un véritable échange avec l’horloger qu’il convoite et de se sentir en phase avec sa démarche artistique, artisanale et intellectuelle.

FM : Avec l’évolution du marché de l’Horlogerie de collection, y a t-il des tendances à noter chez les collectionneurs selon leur géolocalisation?

NM : Oui et non, je pense que la tendance va plutôt vers la globalisation des marchés. Avant, nous pouvions nous attendre à ce que l’Asie et le Middle East se tournent plutôt vers des pièces serties et extravagantes. Aujourd’hui, la réalité de ces collectionneurs se retrouve dans une éducation sérieuse et emplie de respect pour des pièces de plus en plus techniques aux finitions irréprochables.

FM : Patek-Philippe et Rolex seront-ils un jour détrônés des records aux ventes aux enchères?

NM : Pourquoi pas? Un jour les pièces vintages qui font le bonheur des aficionados et atteignent des sommets ne seront plus autant disponibles sur le marché…la question à se poser serait plutôt : pourquoi ces marques atteignent-elles des records? En un mot, je pense que c’est à cause de l’émotion intellectuelle qu’elles suscitent. Patek Philippe a beaucoup investi dans ce domaine à travers de nombreuses publications et son sublime Patek Philppe Museum. Rolex soutient en sous-marin un nombre incalculable de projets culturels… ces marques sont investies et proposent, chacune à leur manière, un challenge de fond aux collectionneurs qui s’y intéressent. Je pense que dès lors, les marques indépendantes d’aujourd’hui ont une carte similaire à jouer, à savoir une stimulation intellectuelle et émotionnelle pour le collectionneur.

FM : Les collectionneurs segmentent-ils leurs acquisitions ou mélangent-ils des pièces muséales avec des pièces qu’ils portent tous les jours?

NM : Oui, il n’est pas rare que certains grands collectionneurs fassent ce mélange. Pour un petit nombre d’entre eux, ils sont également prêteurs de leur collection aux musées.
En un mot, c’est, je pense, ce qu’est l’humanité. C’est la culture et le besoin de stimulation intellectuelle ou émotionnelle. Et l’horlogerie et la collection haut de gamme sont une activité emblématique de l’humanité. Une fois que nous avons compris que vous n’avez pas besoin d’une montre à répétition minutes, mais que vous aimeriez quand même l’avoir, la question est : « Pourquoi voulez-vous l’avoir ? » Que vous admiriez l’artisanat, l’ingénierie ingénieuse, l’exclusivité ou le fait de savoir que vous avez une montre faite pour vous, ou qu’elle a été faite en seulement cinq ou dix exemplaires. Alors vous comprenez pourquoi les indépendants ont tant de succès.

FM : Par leur liberté les horlogers indépendants apportent t-ils des innovations techniques et des finitions que les grandes marques n’ont pas?

NM : Tout à fait! C’est un paradoxe n’est-ce pas? Puisque l’on pourrait s’attendre à ce que les grandes marques avec de très gros moyens d’investissement innovent à tous vents… mais ce sont effectivement souvent les horlogers indépendants qui regorgent de créativité et de bienfacture.

FM : À l’image de George Daniels et sa montre vendue en 2012 chez Sotheby’s est il judicieux de parier sur le génie d’horlogers indépendants comme investissement?

NM : La vente de la collection George Daniels chez Sotheby’s fut en effet une grande réussite!
George Daniels était un horloger iconique pour de multiple raisons…
Il était l’un des seuls à inventer des nouveaux mécanismes et à créer des montres à une époque où plus personne n’aurait parié sur l’horlogerie mécanique. C’est entre autres grâce à lui que les horlogers indépendants ont aujourd’hui cette aura d’irréductibles.

Je pense qu’encore une fois il est difficile de parler d’investissement, mais c’est en effet la culture et le besoin de stimulation intellectuelle ou émotionnelle que les horlogers indépendants essaient de transmettre. Que vous admiriez l’artisanat, l’ingénierie, l’exclusivité ou le fait de savoir que vous avez une montre faite pour vous, ou qu’elle a été faite en seulement cinq ou dix exemplaires. Alors vous comprenez pourquoi les indépendants ont tant de succès.

Article et interview par Florence Marmiesse, FM Art Consulting