La stratégie consistant à donner une partie ou la totalité des parts de sa société afin de purger la plus-value avant de réaliser la vente est une pratique « admise ».

Il est toutefois nécessaire de respecter des étapes juridiquement incontestables, notamment sur la vente qui doit intervenir après la donation. Or, une vente peut-être juridiquement formée sans pour autant que les capitaux soient versés. S’il s’avère que cette vente est intervenue, au moins juridiquement, avant la donation, il y a un risque important de redressement fiscal. Il faut donc être attentif dans la rédaction des avants contrats, et dans la date du transfert de propriété.

De plus, la donation doit être réelle et donc présenter un dépouillement irrévocable du donateur avec une intention libérale. Cette intention libérale permet d’écarter la notion d’abus de droit fiscal, l’opération n’étant pas fictive et l’objectif n’étant pas exclusivement fiscal.

Notons également que cela ne vaut que dans le cas d’une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Dans les autres cas (entreprise individuelle ou société IR), la donation est en elle même le fait générateur de l’imposition de la plus-value. En effet dans ces cas là, les parts de la société IR sont considérées comme un actif professionnel et la sortie du patrimoine du propriétaire est imposable, même s’il s’agit d’une donation.

Ces éléments étant rappelés, la question du quasi-usufruit se pose. Cela permet, en cas de donation démembrée de la nue-propriété avec conservation de l’usufruit par le donateur, de reporter le démembrement sur le fruit de la cession. Le donateur, usufruitier des parts, devient alors usufruitier d’une somme d’argent (d’où la notion de quasi-usufruit).

Dès lors, le donateur, bien qu’ayant purgé la plus-value sur la nue-propriété, et bien qu’ayant fait une donation, se retrouve a pouvoir utiliser des fonds issus de la totalité de la vente. De plus, lors de l’extinction de l’usufruit, au décès du donateur, les donataires auront une créance à faire valoir contre la succession réduisant ainsi les droits de succession dus sur le reste du patrimoine.

Nous l’avons  dit, pour que le schéma fonctionne, il faut un dépouillement immédiat et irrévocable, pour que la donation soit réelle. La possibilité d’utiliser ces fonds contrevient-elle à ce principe en ce que le donateur semble se réapproprier ce qu’il a donné ?

Par un arrêt CE 10-2-2017 n° 387960,[1] le Conseil d’Etat a confirmé[2] l’utilisation de cette technique de donation avant cession, dès lors que l’acte de donation initial prévoyait bien le quasi-usufruit.

La Cour relève qu’aux termes de l’article 601 du Code civil, une donation-partage peut valablement contenir une clause de quasi-usufruit non assortie d’une caution : la dispense de garantie, expressément autorisée par la loi, ne décharge pas le quasi-usufruitier de son obligation de restitution en fin d’usufruit. Dès lors qu’il reste redevable, à l’égard des donataires nus-propriétaires, de cette obligation de restitution, le donateur devenu quasi-usufruitier doit être regardé comme s’étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens donnés. Par suite, son intention libérale ne saurait être remise en cause et la donation ne peut être considérée comme fictive.

Cette possibilité, bien qu’accueillie par la jurisprudence au bénéfice des contribuables, ne signifie pas pour autant qu’il n’existe aucun risque.

L’absence de caution est permise par la loi, mais le quasi-usufruit implique que le donateur reste redevable d’une créance de restitution en application de l’article 587 du Code civil et que M. A… doit être regardé comme s’étant effectivement et irrévocablement dessaisi des biens ayant fait l’objet de la donation ». 

Mais, l’absence de caution n’est pas toujours acceptée par le juge. Ce fut le cas dans l’arrêt du 14 octobre 2015 n°374440 [3] qui avait confirmé l’arrêt d’une Cour d’appel concluant à l’abus de droit du fait de l’absence de garanties pour le nu-propriétaire. Mais la problématique était surtout d’ordre chronologique.

En effet, ces deux décisions concernent en réalité deux situations différentes. La première de 2015 portait sur un cas ou la convention de quasi-usufruit avait été réalisée après la donation et après la cession des titres. L’arrêt de 2017 concerne une convention passée directement dans l’acte de donation et donc prévu initialement.

Dès lors, la réalisation d’une donation avant cession devra, pour être sécurisée, prévoir une convention de quasi-usufruit dans l’acte de donation. Dans le cas inverse, la convention de quasi-usufruit devra prévoir des garanties suffisantes pour le créancier.


[1] Ni le délai très bref qui s’est écoulé entre l’acte de donation-partage et la cession des parts détenues par M. A…et ses enfants dans le capital de la société Tellif, ni les restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété des donataires, résultant notamment de l’interdiction d’aliéner ou de nantir les titres donnés pendant la vie des donateurs, sous peine de révocation de la donation, ni l’obligation de réemployer le prix de vente desdits titres à hauteur de 2 517 960 euros en l’acquisition de titres aux fins de créer entre M. A…et ses enfants une société civile de gestion patrimoniale et dont les statuts octroient à M.A…, donateur gérant, des pouvoirs étendus de décision, notamment pour la distribution des bénéfices, ne peuvent, à eux seuls, suffire à faire regarder la donation intervenue comme purement fictive dès lors, d’une part, que la circonstance qu’un acte de disposition soit assorti d’une clause d’inaliénabilité durant la vie du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens des dispositions de l’article 894 du code civil et, d’autre part, que l’octroi au donateur usufruitier de pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein de la société civile Guisanga n’altère pas l’obligation de restitution en fin d’usufruit en vertu de l’article 578 du code civil et n’est pas de nature, par lui-même, à remettre en cause le constat de son dépouillement immédiat et irrévocable dès la signature des actes de donation.
Par suite, l’administration, qui n’établit pas le caractère fictif de l’acte de donation du 15 janvier 2003,

[2] La cour administrative d’appel de Lyon considérait que ni le délai très court qui s’est écoulé entre l’acte de donation et la cession des titres (2 jours), ni les restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété des donataires – résultant notamment de l’interdiction d’aliéner ou de nantir les titres donnés pendant la vie des donateurs – ni le remploi d’une partie du prix de vente des titres en l’acquisition d’autres titres au sein d’une société civile de gestion patrimoniale réservant au donateur des pouvoirs étendus de décision ne sont de nature à établir le caractère fictif de la donation (CAA Lyon 16-12-2014).

[3] Considérant que la cour administrative d’appel de Lyon a relevé que Mme A… avait appréhendé l’intégralité du prix de cession des actions et jugé que la conclusion d’une convention de quasi-usufruit, postérieurement à la cession et alors qu’une partie de ce prix, excédant la quote-part correspondant à la valeur de l’usufruit des actions, avait déjà été réglée à MmeA…, révélait que celle-ci n’avait pas eu l’intention de mettre ses enfants en possession de la nue-propriété soit de ces actions, soit d’autres titres démembrés, comme stipulé dans les actes de donation du 28 mars 2003, mais seulement de constituer à leur profit une simple créance de restitution, au demeurant non assortie d’une garantie ; qu’en déduisant de ces faits, qu’elle a souverainement appréciés sans les dénaturer, que l’administration, à laquelle incombe la charge de la preuve en raison de l’avis défavorable du comité consultatif pour la répression des abus de droit, démontrait que la donation de la nue propriété des actions aux enfants ne pouvait être regardée comme ayant été irrévocablement consentie et qu’en raison du caractère fictif de cette donation, celle-ci ne lui était pas opposable en application des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, la cour n’a entaché l’arrêt attaqué ni d’erreur de droit ni d’erreur dans la qualification des faits qui lui étaient soumis ;