L’abus de biens sociaux est prévu aux articles L 241-3 et L 242-6 du Code de commerce. Il vise des sociétés commerciales et par ailleurs semble exclure, du moins en théorie, les sociétés de personnes (société en nom collectif, société en commandite simple, société en participation, société de fait).

L’abus de biens sociaux vise en réalité à protéger la société,personne morale, qui doit se distinguer en cela des personnes physiques, fussent-elles associés et/ou dirigeantes.

Indirectement il protège également les autres associés qui subissent un préjudice indirect lié aux conséquences, pour la société, de l’acte préjudiciable.

Il existe aussi la notion d’abus du crédit de la société. Cette notion est assez large puisque contrairement à l’abus de biens sociaux qui permet de constater un préjudice immédiat pour la société, l’abus de crédit se suffit d’un risque (par exemple de non remboursement d’un emprunt qu’elle aura garantie pour une autre société). S’il apparaît que le risque était très important voire quasi-certain (garantie offerte à une société qui n’aurait jamais eu les moyens de rembourser) l’abus de crédit peut alors se transformer en un abus de biens sociaux.

Il existe également l’abus des pouvoirs ou des voix (dont seul l’objet diffère).

De plus, la simple utilisation ou un simple acte d’administration suffit, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un transfert de propriété d’un bien appartenant à la société. La simple utilisation abusive des biens suffit à caractériser l’infraction en dehors de toute volonté d’appropriation définitive (Cass. Crim. 8 mars 1967).

De plus, la jurisprudence a déjà jugé que l’usage pouvait résulter d’une omission d’agir (Cass. Crim. 15 mars 1972) ou d’une abstention volontaire (Cass. Crim. 28 janvier 2004). C’est le cas par exemple de la non réclamation par le dirigeant du paiement d’une livraison à une autre société dans laquelle il était intéressé.

1 / Usage contraire à l’intérêt social et élément intentionnel

Il peut s’agir de tout acte qui porte atteinte matériellement au patrimoine social, ou encore tout acte qui fait courir un risque anormal ou excessif au patrimoine social (risque auquel il ne devait pas être exposé Cass. Crim 16 décembre 1975). Toutefois il faut que ces actes aient été commis de mauvaise foi ou pour obtenir un avantage personnel en connaissance de cause.

D’autres définitions peuvent être relevées dans la doctrine (l’acte contraire à la société est celui qui expose la société, sans nécessité pour elle, à des risques anormaux et graves – M. Delmas-Marty) ou dans la jurisprudence (des risques trop importants pour la société sans contrepartie suffisante ou hors de proportion avec ses possibilités réelles – T. Corr. Paris 16 mai 1974).

2 / Cas des groupes de sociétés 

L’affaire Willot (T. Corr. Paris 16 mai 1974) a permis de poser le principe applicable pour la prise en compte des particularités liées aux groupes de société. L’acte peut, même s’il est contraire à l’intérêt d’une des sociétés, être « justifié » si :

  • Il existe un vrai groupe structuré de sociétés qui concourent à la réalisation de l’objet social du groupe
  • Si les actes ont été réalisés dans l’intérêt du groupe pour le maintien de son équilibre, ou pour la poursuite d’une politique globale cohérente et non dans l’intérêt personnel de ses dirigeants
  • Si le risque pris par l’une des sociétés n’est pas excessif et sans contrepartie

La Cour de cassation a ensuite précisé que : le concours financier apporté par les dirigeants de fait ou de droit d’une société, à une autre entreprise du même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe, et ne doit ni être démuni de contrepartie ou rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge (Cass. Crim. 16 décembre 1975).

Réponse ministérielle, JO du 6 janvier 1986 p.66, Péricard Q. 25 novembre 1985 : « le concours financier doit être dicté par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble du groupe et ne doit ni être démuni de contrepartie, ni rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge. »

3 / Application à la gestion de patrimoine 

Dans le cadre de la gestion de patrimoine, le montage d’une, ou plusieurs, société est courante, voire même prédominante.

Doivent être pris en compte :

  • La forme juridique de ces sociétés (SAS, SARL, SCI etc.)
  • La nature commerciale ou civile de ces sociétés
  • L’activité des sociétés
  • Les opérations qui existent entre elles
  • Le rôle des clients dans l’ensemble de ces sociétés

Nous l’avons vu, les sociétés civiles sont exclues de l’ABS qui ne concerne que les sociétés commerciales.

Toutefois, une société commerciale fait souvent partie du montage. En particulier, la holding détenant de fortes liquidités liées à une ancienne activité professionnelle cédée depuis, et qui détiendrait des participations dans des sociétés civiles permettant ainsi, par exemple, son financement.

Dans une telle situation, la société holding devra être utilisée en respectant son intérêt social.

Une fois l’activité professionnelle préexistante cédée, si elle se borne à gérer ses liquidités, ses placements financiers, et ses participations et investissements au sein de SCI, il faudra faire attention à ne pas continuer à faire une utilisation des biens sociaux contraire à son intérêt. Si certaines pratiques pouvaient être justifiées auparavant (voiture de société, frais de déplacement, frais téléphoniques) lorsque le dirigeant était un vrai chef d’entreprise, elles risquent de ne plus l’être par la suite.

De plus, les mouvements de trésoreries entre la société et des filiales purement patrimoniales devront être justifiables et permettre une contrepartie.

Voir également notre article : La trésorerie de la société IS.

Enfin, si l’abus de biens sociaux ne s’applique pas aux sociétés civiles, une autre infraction, certes moins sévère, existe : l’abus de confiance.

4 / Exemples

Abus de biens sociaux : 

  • Rémunérations excessives du dirigeant (Cass. Crim. 9 mai 1973)
  • Rémunération d’un emploi fictif (Cass. Crim. 28 mai 2003)
  • Avantages en nature (Cass. Crim 25 novembre 1975)
  • Utilisation du véhicule de la société (Cass. Crim. 4 novembre 2010)
  • Utilisation personnelle d’un véhicule loué par l’entreprise (CA Rennes 13 septembre 2007)
  • Découvert en compte courant (Cass. Crim. 7 mars 1968)
  • Cautionnement d’un emprunt personnel (Cass. Crim. 10 mai 1955)
  • Prêt à court terme sans intérêt fait par la société au dirigeant (Cass. Crim. 28 janvier 2011)
  • Prise en charge de dépenses personnelles par la société
  • Mise à la charge de la société de dépenses abusives procédant d’une convention d’assistance (Cass. Crim. 8 octobre 2003)
  • Conclure un emprunt personnel sous la signature sociale
  • Confusion entre les fonds sociaux et ceux du dirigeant (Cass. Crim. 26 juillet 1971)
  • Confusion entre les fonds sociaux de deux sociétés gérées par le dirigeant (Cass. Crim. 24 mars 1969)
  • Abus portant sur le mobilier de la société (Cass. Crim. 30 janvier 1974)
  • Abus sur un immeuble social
  • Acquisition démembrée par la société de l’usufruit d’un bien immobilier appartenant à son dirigeant qui en conserve la nue-propriété, location par la société d’un bien à une SCI appartenant au dirigeant sauf si la société d’exploitation a un intérêt économique à l’acquisition de l’usufruit temporaire par rapport à un loyer et que l’opération soit faite de manière cohérente pour la société (valeur de l’usufruit, durée de l’usufruit, intérêt de l’opération etc.) (Réponse Ministérielle 5 mai 2009)
  • Loyers élevés payés par la société pour l’occupation d’un atelier appartenant à une autre société dont le dirigeant lui était lié financièrement (CA Rouen 12 avril 2007)
  • Utilisation de fonds d’une société pour permettre l’activité d’une autre structure, même si cette dernière n’a pas de personnalité morale, et même si la société était endormie (Cass. Crim 19 octobre 2005)

Abus de crédit social : 

  • Caution accordée par la société pour la garantie de crédits consentis à une autre société dans laquelle le dirigeant avait des intérêts (CA Aix-en-Provence 31 janvier 2007)

Abus des pouvoirs :

  • Un administrateur qui conclus un contrat sans perte ni profit pour sa société mais permettant de se faire attribuer une commission (Cass. Crim. 23 janvier 1963)
  • Un administrateur qui pour vendre ses titres élude les règles d’agrément des tiers (Cass. Crim 21 janvier 1960)
  • Un dirigeant de banque qui accorde seul, contrairement aux statuts de la banque, des crédits ou des avances à une société dirigée par son frère (Cass. Crim. 3 mai 1967)
  • Un dirigeant d’une holding qui use de ses pouvoirs pour organiser une fusion-absorption contraire à l’intérêt de la société absorbante et avantageuse pour lui-même (Cass. Crim. 10 juillet 1995)
  • S’assurer le contrôle du comité des rémunérations et ne pas mettre les membres du conseil d’administration en mesure de remplir leur mission, afin de déplafonner sa rémunération, cela ayant des conséquences sur les charges financières de la société et sur son image (Cass. Crim. 16 mai 2012)

Lecture : Fascicule Lexis Nexis – Abus de biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix – Wilfrid JEANDIDIER