1. L’impact des donations lors du calcul des droits dans une succession (réunion, rapport, partage)

Les donations faites du vivant du donataire soulèvent diverses questions lors du décès de ce dernier. Les étapes à prendre en compte ainsi que leurs buts, varient en fonction notamment de la nature des donations mais aussi de la qualité des successibles.

Notions à ne pas confondre et notions similaires :

Donation à un successible = présumé en avancement de part sauf clause contraire

Donation en avancement de part = donation en avancement d’hoirie = donation rapportable = donation forcément faite à un successible

Donation hors part = donation préciputaire = donation non rapportable

Donation à un non successible = donation présumée hors part (puisqu’il n’a par définition aucune part légalement prévue pour lui)

Donation-partage = donation non rapportable mais prise en compte pour la réunion fictive (calcul des réserves et indemnité de réduction si nécessaire)

Legs = présumé non rapportable = hors part

Legs d’attribution = legs avec clause de rapport = s’impute sur la part héréditaire

A. La réunion fictive : quel serait le montant du patrimoine du défunt s’il n’avait réalisé aucune donation de son vivant ?

La première étape consiste à reconstituer le patrimoine. Cela permet de déterminer par exemple la part réservataire pour chacun des héritiers réservataires, et  la quotité disponible. L’opération consiste en une réunion fictive des biens, c’est une opération purement comptable et préliminaire qui permet de reconstituer le patrimoine comme si le défunt n’avait réalisé aucune donation, car les donations ne doivent pas permettre de porter atteinte à la réserve héréditaire.

Réunion fictive = reconstitution du patrimoine = prendre en compte tout le patrimoine, toutes les donations, rapportables ou non, exclusion faite des seuls biens hors succession (Assurance-vie, présents d’usage, certains frais, les biens faisant l’objet d’un droit de retour conventionnel.)[1]. Les legs n’ont pour l’instant aucun effet, le patrimoine existant au décès est totalement pris en compte.

Attention : les biens vendus par le défunt à un successible en ligne directe à charge de rente viagère, à fonds perdus, ou avec réserve d’usufruit sont réunis puisqu’ils sont présumés constituer des donations[2]. Afin d’écarter cette présomption, les héritiers réservataires peuvent consentir à l’acte. Il s’agit d’un pacte sur succession future autorisée par la loi[3].

Sont concernés par la réunion fictive toutes les donations, quelle que soit la forme (notariée, indirecte, manuelle, déguisée), la nature (rapportable ou non rapportable c’est-à-dire hors part), ou encore quel que soit le donataire (héritier réservataire ou non, famille ou tiers).

La réunion fictive comporte donc :

  • Tous les biens présents au jour du décès du défunt, évalués à la date du décès selon leur état à cette date
  • Toutes les donations antérieures, évaluées à la date du décès suivant leur état au jour de la donation[4] sans prendre en compte les améliorations financées par le donataire. Sont seulement prises en compte les améliorations ou détériorations fortuites puisque le défunt les aurait aussi subies, et la plus-value inhérente au bien à proprement parler (évolution du marché local, terrain devenu constructible etc.). Si le bien a péri de manière fortuite il est réuni fictivement mais pour une valeur nulle (sauf indemnisation). Si le bien a été aliéné entre temps, il faut retenir la valeur du bien à l’époque de l’aliénation. En cas de subrogation, c’est-à-dire par exemple si y a eu donation d’argent et achat par le donataire d’un bien avec, ou si donation d’un bien pour l’acquisition d’un autre bien avec le produit de la vente : dans ce cas prendre la valeur du nouveau bien au jour du décès, d’après son état au jour de l’acquisition.
  • En cas de donation antérieure ayant subi un démembrement: la réunion fictive doit être réalisée pour la valeur en pleine propriété[5] dès lors que l’usufruit s’est éteint (voir ci-après).
  • Concernant les donations partages : l’article 1078 CC prévoit : « Nonobstant les règles applicables aux donations entre vifs, les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent. »

Sont concernés également les avantages indirects : attention à cette notion, un avantage indirect est rapportable selon la jurisprudence bien qu’il ne s’agisse pas d’une libéralité en l’absence d’une réelle intention libérale.[6]

  • Sont toutefois exclus de la réunion fictive :
    • Les biens et sommes visées à l’article 852 du code civil
    • Les avantages matrimoniaux
    • Les fruits et revenus des biens donnés[7]

A noter que le passif et les charges incluent dans les donations sont déductibles de la valeur de cette dernière.

B. Détermination de la quotité disponible et de la réserve de chacun : sur le patrimoine du défunt, quelle est la part de chaque héritier réservataire ?

Une fois que la reconstitution du patrimoine, par la réunion fictive, est faite, on calcule le montant de la quotité disponible et des réserves par application des pourcentages selon les règles impératives prévues par la loi[8]. La quotité disponible est égale à :

MASSE DE CALCUL (c’est à dire patrimoine au décès + réunion fictive des donations) x TAUX de la quotité disponible.

Pour rappel :

Ne sont réservataires que les descendants (les enfants, à défaut leurs propres descendants mais pour la quotité de celui qu’ils représentent). Le conjoint n’est ici pas réservataire.

Réserve héréditaire (RH) globale des descendants :

1 enfant : 1/2

2 enfants : 2/3

3 enfants et plus : 3/4

Attention : l’enfant renonçant, ou prédécédé et non représenté, n’entre pas dans le calcul de la réserve sauf :

  • Pour l’enfant renonçant : s’il est tenu au rapport même en cas de renonciation (clause à prévoir le cas échéant et permise par la loi[10])
  • Pour l’enfant prédécédé : s’il est représenté

A défaut de descendants, le conjoint devient réservataire à hauteur d’un quart. Les ascendants ne sont plus réservataires mais disposent d’un droit de retour légal[9].

C. L’imputation fictive des biens déjà donnés : y-a-t-il une atteinte au montant du patrimoine que doit recevoir chacun des réservataires ?

Une fois la quotité disponible déterminée et évaluée en fonction du montant du patrimoine total, il faut imputer les libéralités consenties afin de déterminer si, en pratique, elles ne portent pas atteinte aux droits des héritiers. Cette imputation est un calcul comptable de vérification, n’ayant pas d’incidence sauf si une réduction est demandée par un héritier réservataire pour atteinte à la réserve.

L’imputation des libéralités se fait soit sur la quotité disponible, soit sur les réserves héréditaires, selon qu’elles sont en avancement de part, ou hors part successorale.

Il faut donc faire une distinction importante entre :

  • Les donations qui s’imputent sur la quotité dite disponible
  • Les donations qui s’imputent sur la réserve héréditaire

Ordre d’imputation qui sera appliqué[11] :

  • Les donations, des plus anciennes aux plus récentes
  • Les legs, concurremment
  • Si legs + donation au dernier vivant = concurremment, sauf s’il est prévu dans le legs qu’il s’appliquera avant ou après la donation au dernier vivant (voir aussi notre article : Donation entre époux : difficultés pratiques)

Rappels : imputation sur la quotité disponible ou sur la réserve héréditaire ?

Comme nous l’avons vu, les notions sont importantes : donation rapportable = donation en avancement de part successorale (d’un successible). Une donation à un successible est présumée être en avancement de part, mais une clause peut prévoir qu’elle s’imputera sur la quotité disponible (donation préciputaire ou hors part successorale).

Si la donation est faite à un successible renonçant à la succession, il devient de fait non successible et la donation est alors présumée hors part (sauf clause contraire de rapport en cas de renonciation).

Que les donations soient en avancement de part, ou hors part, il convient de les imputer pour voir si la réserve de chacun est respectée.

Assiette d’imputation :

Les donations en avancement de part (toute donation à un successible sauf clause contraire, toute donation à un renonçant si clause de rapport et dans ce cas il aura été pris en compte dans le calcul des réserves) s’imputent donc en priorité sur la part individuelle de chacun des réservataires qui a reçu des donations.

ATTENTION : La donation-partage n’est pas rapportable mais cela ne signifie pas qu’elle s’impute pour autant sur la quotité disponible. Une donation-partage n’est certes pas rapportable en ce qu’elle n’est pas prise en compte pour l’imputation des libéralités, mais elle est bien faite en avance de part successorale (sauf clause contraire).

Les donations rapportées, lorsqu’elles dépassent la réserve héréditaire du donataire concernée, s’imputent pour le surplus sur la quotité disponible. Si elle la dépasse, elle sera alors réduite car portera atteinte aux droits des autres héritiers réservataires.

L’action en réduction : de la fictivité à la réalité

L’action en réduction est ouverte uniquement aux héritiers réservataires, et elle n’est pas de droit, il faut en faire la demande. Ils peuvent d’ailleurs y renoncer par une renonciation anticipée à l’action en réduction. Cette action permettra de réduire les libéralités et legs lorsqu’il y a une atteinte à leurs droits. L’ordre de la réduction est l’inverse de l’imputation : les legs sont d’abord réduits, puis les donations des plus récentes aux plus anciennes.

La réduction se fait en principe en valeur, et une indemnité de réduction sera alors due par le donataire qui voit sa libéralité réduite. Exceptionnellement elle peut être en nature : lorsque le donataire le demande, ou lorsqu’il ne s’acquitte pas de l’indemnité de réduction due.

D. Le rapport des donations : quelle masse reste effectivement à partager ?

Cette masse sert aussi au calcul du droit de partage.

Après avoir déterminé le montant total du patrimoine (réunion fictive), puis déterminé les droits des réservataires, puis après avoir imputé comptablement les libéralités pour vérifier que ces droits sont respectés, il faut maintenant partager ce qui reste en fonction des quotes-parts de chacun et en attribuant les lots en fonction des libéralités de chacun (réduites le cas échéant). Sont alors rapportées certaines donations :

Principes :

  • Le rapport ne s’applique pas à toutes les donations
  • Le rapport se fait en principe en valeur, sauf volonté contraire du défunt et sauf choix du donataire

L’idée est qu’ici chacun rapporte ce qu’il a reçu (et qui est rapportable) car en effet les donations ne sont que des avances faites sur la succession. La donation aura permis au donataire de profiter du bien du vivant du donateur, et le donataire, comme le légataire, auront également l’avantage de pouvoir conserver, en principe, le bien en nature suite au partage.

Sauf cas exceptionnels, les biens rapportés seront attribués à celui qui les avait reçus. Le rapport se faisant en valeur simplement pour réaliser un partage « mathématiquement juste ».

Les donations non rapportables sont conservées (donation-partage, donations à un non successible, clauses prévues dans les donations simples). Cela est possible dans la mesure où il n’y a pas d’atteinte à la part que doit recevoir les réservataires (ce point ayant justement été vérifié lors de la réunion fictive, de l’imputation des libéralités, et par l’effet si nécessaire de l’action en réduction).

ATTENTION : ne sont pas rapportables non plus les biens hors succession comme les contrats d’assurance-vie. Les primes versées ne sont pas rapportables à la condition qu’elles ne soient pas manifestement exagérées (Voir notre autre article : peut-on déshériter ses ayants-droits).

Les legs sont présumés non rapportables[12] mais une clause peut prévoir l’inverse.

Les donations visées à l’article 918 du Code civil (avantage indirect) ne sont pas rapportables mais sujettes aux réductions.[13]

Valeur du rapport :

Le rapport doit être fait, comme pour la réunion fictive mais ici en se plaçant au jour du partage, à la valeur du bien à la date du partage, selon son état au jour de la donation. La prise de valeur du bien indépendante du donataire est donc pris en compte.

Il doit être fait en pleine propriété si la donation avait été faite en démembrement. 

Attention : la valeur de rapport est pour le nu-propriétaire la valeur en pleine propriété lorsque le défunt s’était réservé l’usufruit. Car effectivement, l’usufruit étant éteint il devient plein propriétaire et doit donc rapporter cette valeur. Toutefois, si l’usufruitier n’est pas le défunt, le nu-propriétaire ne doit rapporter que la valeur de la nue-propriété, et l’usufruitier la valeur de l’usufruit. Lors de l’imputation de la libéralité, une ventilation sera opérée entre les droits du nu-propriétaire et ceux de l’usufruitier. La libéralité en nue-propriété s’imputant sur la nue-propriété de la quotité disponible et celle de l’usufruit sur l’usufruit de la quotité disponible.[14]

Attention l’usufruit est une charge qui ne peut grever la réserve.

NB : il est possible de prévoir des règles différentes l’article 860 du Code civil disposant « Le tout sauf stipulation contraire dans l’acte de donation ». Ainsi, il est possible de prévoir par exemple que la valeur retenue sera celle au jour du décès sans considération de l’état du bien au jour de la donation, ou encore, si le bien est aliéné par le donataire, que la valeur sera celle au jour de l’aliénation en excluant la subrogation réelle. Il est possible également de prévoir que la valeur rapportante sera fixe (celle au jour de la donation, ou encore une valeur forfaitaire).

E. Autres informations :

  • Le conjoint est un successible, sauf si divorcé. Si en instance de divorce ou si séparation de corps, il demeure successible. Il est toutefois possible de prévoir l’inverse dans la convention de séparation de corps[15]
  • Le conjoint lorsqu’il dispose d’un choix sur le montant de sa part (enfants communs  par exemple, ou encore si une donation entre époux a été prévue en ce sens) ce dernier n’a aucun délai pour faire connaitre sa décision. Il est le seul à pouvoir faire ce choix (exclusion de l’action oblique) à moins que, pour la DDV le choix soit retiré en imposant l’application d’une option en particulier. Toutefois les héritiers peuvent lui notifier de faire son choix. Le conjoint aura alors 3 mois pour le faire faute de quoi il sera réputé avoir opté pour la totalité en usufruit.

 F. Les aspects fiscaux

[16]

En termes de fiscalité, les règles diffèrent. Il faut en effet prendre en compte les particularités liées notamment :

  • A la valorisation des biens, présents au décès ou donnés préalablement, qui entrent dans l’assiette de la base de calcul des droits de mutation
  • Aux abattements applicables selon le degré de parenté, et qui se renouvellent une fois tous les 15 ans.

L’assiette fiscale dépendra de la masse à partager entre les héritiers. Les biens présents au décès sont soumis aux droits de mutation après application des abattements, lesquels dépendent des donations antérieures, ce qui constitue le point le plus délicat.

La règle est relativement simple :

  • Toutes les donations de moins de 15 ans (et uniquement celles-ci) doivent être rapportées à la succession, pour la valeur en pleine propriété. Seules les donations de plus de 15 ans, et les dons familiaux de sommes d’argent exonérés sont exclus du rapport fiscal s’ils ont été enregistrés ou déclarés. Donc un don familial exonéré n’entame pas l’abattement légal prévu pour les donations.
  • Il n’y a aucune distinction, contrairement au rapport civil, entre les donations rapportables ou non, partages ou non …
  • Toutes ces donations sont imputées dans les tranches les plus basses du barème servant au calcul des droits de mutation à titre gratuit, à hauteur du montant taxé de ces donations.
  • L’abattement appliqué pour ces donations s’impute sur l’abattement applicable au profit du successible
  • Le barème progressif des droits de succession est repris suite aux donations de moins de 15 ans, et non remis à zéro.
  • Pour le calcul des droits, l’assiette est constituée des biens transmis par succession selon leur valeur vénale réelle au jour du décès.
  • Les donations antérieures rapportés sont déduites de la part successorale pour que ne soit taxé que la partie non encore soumise aux droits de mutation.

Attention : un droit de partage est dû en plus des droits de mutation, au taux de 2,5%. Or, seules des donation-partage incluent un partage. Toutes les autres donations seront donc reprises et taxées ici. L’assiette de cette taxe est en fait celle obtenue lors du rapport civil (voir ci-avant).[17]  Il s’agit de l’actif net partagé.

Ainsi fiscalement parlant le rapport n’a rien à voir avec le rapport civil. Les biens antérieurement donnés ne sont pas réévalués. On retient donc la valeur au jour de la donation et non la valeur au jour du décès.

G. Le droit de partage

Le partage successoral n’est jamais obligatoire. Lorsque des héritiers sont en indivision sur un ou plusieurs biens, la liquidation de la succession n’impose aucunement de partager ces biens. Les héritiers seront alors indivisaires.

Ainsi, ne pas faire de partage permet d’économiser le droit de partage ! Or, si les biens sont vendus par la suite, le prix de vente sera ventilé entre eux sans avoir eu à faire un partage. Partager les biens indivis avant de le vendre est donc un non-sens fiscal.

Le partage peut être demandé dans des cas particuliers : gros patrimoine, indivisaires qui ne s’entendent pas, mais quoi qu’il en soit, les biens qui vont être vendus d’un commun accord sont laissés en dehors du partage.


[1] Art. 852 CC

[2] Art. 918 CC

[3] Bernard BEIGNIER, Libéralités et succession, n°409 – Attention à ce piège de l’article 918 dans de nombreux cas pratiques.

[4] Art. 922 CC

[5] Francis Lefebvre Mémento Patrimoine n°22527

[6] Cass. 1ere Civ 8/11/2005 – B. BEIGNIER n°40 et n°409. Voir toutefois un arrêt récent : La mise à disposition gratuite d’un logement exclut la qualification d’avantage indirect rapportable (Cass. civ. 1 11/10/2017)

[7] Art. 928 CC

[8] Art. 913 et suivants du CC

[9] Art. 738-2 CC

[10] Art. 845 al 1er CC

[11] Art. 923 CC

[12] Art. 843 al 2 CC

[13] B. BEIGNIER n°453 page 271

[14] Francis Lefebvre – Successions et libéralités nouveau régime juridique et fiscal – 2007 n° 1282

[15] Art. 301 CC

[16] Francis Lefebvre Mémento Patrimoine n°30755 et 30825

[17] BOI-ENR-PTG-10-10 § 160